lundi 22 octobre 2007
Michel Pastoureau est spécialiste du bestiaire héraldique médiéval et de l'histoire symbolique des sociétés européennes.
Michel Pastoureau : L’Ours, histoire d’un roi déchu
Un essai de Michel Pastoureau
Il fut un temps où l’ours était considéré comme l’égal de l’homme. Aujourd’hui, des crétins mettent des morceaux de verre dans du miel pour tuer les quelques ours réimplantés dans les Pyrénées. Là est le fossé entre le monde moderne et le monde naturel. Le prix a payé pour notre ignorance sera exorbitant.
Michel Pastoureau, dans ce bel essai issu de ses cours à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, nous rappelle que, du paléolithique à l’époque féodale, l’ours fut vénéré. On parla même d’une religion de l’ours. Ce fut avec l’extension du christianisme que l’ours devint une créature diabolique férocement traquée par les hommes. A travers l’ours, c’était bien entendu les anciens courants païens qui étaient visés. L’Eglise s’attaqua à l’ours comme elle s’était attaquée à la forêt et installa à sa place une autre figure puissante mais qu’elle pouvait symboliquement contrôler, le lion. L’ours connut alors des siècles d’humiliation avant de prendre sa revanche comme peluche préférée des enfants. Ce retour de l’ours par la médiation du jeu annonce-t-il le renversement nécessaire dans notre rapport à la nature ? Ici et là, pas à pas, l’ours regagne du territoire, difficilement, lentement et peut-être trop tardivement.
Le livre magnifique de Michel Pastoureau est un hymne à la nature à travers cet animal, emblématique s’il en est. Les connaissances de l’auteur, tant en histoire qu’en héraldique ou en symbolique permettent au lecteur de suivre la trajectoire de l’ours dans les représentations du monde des êtres humains. La chute de l’ours accompagne d’une certaine manière la chute de l’homme dans les ténèbres de l’artifice.
En rompant l’alliance primitive avec l’ours, l’homme s’est coupé de sa puissance originelle. Les peuples qui ont trahi l’ours, pensons aux gens du voyage qui ont fait de ce roi un clown souffrant, paient une dette sans fin. L’humanité devra restaurer l’alliance avec l’ours et, à travers lui avec toute la nature, pour espérer se retrouver elle-même. Sans l’ours, l’errance est interminable
Le Nouvel Observateur - L'ours était, en Europe, le roi des animaux. L'Eglise l'a diabolisé et puis dompté. Dans un livre passionnant, Michel Pastoureau raconte l'histoire de cette désacralisation. Et, pour « le Nouvel Observateur », il commente huit images, de la préhistoire à nos jours
Ce n’est pas un livre sur l’ours, mais un essai sur les relations passionnelles entre l’homme et l’ours au cours des derniers 30 000 ans que nous offre aujourd’hui Michel Pastoureau, cet historien médiéviste qui a le génie des sujets – auteur notamment de « l’Etoffe du Diable. Une histoire des rayures et des tissus rayés » et de « Bleu. Histoire d’une couleur ».
En 1969, dans la fusée qui les emmène vers la Lune, Neil Armstrong et ses deux compagnons emportent un ours en peluche, lointain témoignage de notre cousinage ancestral avec cet animal formidable qui avait « les mêmes espaces et les mêmes proies, les mêmes peurs et les mêmes cavernes », un animal totem qui fit probablement l’objet de cultes préhistoriques. Michel Pastoureau raconte comment ce terrible fauve, le premier roi des animaux, considéré comme le fondateur de dynasties royales, fut progressivement, par la volonté opiniâtre de l’Eglise et de ses clercs, bouté hors de son trône, exclu de sa place centrale dans les bestiaires européens, ridiculisé, dévalorisé, diabolisé, promené dans les foires. Jusqu’à ce qu’enfin le nounours lui apporte une dernière revanche symbolique – à l’heure où il est menacé de disparition.
« L’Ours. Histoire d’un roi déchu »
par Michel Pastoureau
Seuil, 418 p., 24 euros.
L'ours violeur
« Depuis des époques très anciennes, partout en Europe circule une croyance selon laquelle l'ours mâle est sexuellement attiré par les jeunes femmes et les jeunes filles : il les enlève, les viole, et elles accouchent d'êtres mi-hommes mi-ours qui sont toujours des guerriers invincibles et des fondateurs de dynasties. Au xiiie siècle, les rois de Danemark et de Norvège se font établir des généalogies montrant qu'ils ont pour ancêtres l'un de ces «fils d'ours». Pour l'Eglise médiévale, l'idée que l'ours et la femme puissent être interféconds est abominable, mais certains théologiens dissertent sur le sperme de l'ours comparé à celui de l'homme. Bien avant Darwin, l'idée d'un cousinage entre animaux et humains ne concerne pas le singe, considéré comme diabolique, mais l'ours et parfois le cochon. »
Crâne d'ours
« Dans la grotte Chauvet, découverte en 1994 en Ardèche, les peintures d'animaux datent d'environ 32 000 ans. Au centre de la «salle du crâne», on a trouvé ce crâne d'ours, placé sur un piton rocheux. Autour de lui, en demi-cercle, une douzaine d'autres crânes. Doit-on supposer l'existence d'une «religion de l'ours» chez les hommes de Cro-Magnon ou de Neandertal ? C'est une question qui fait débat chez les préhistoriens. Or l'existence d'un culte de l'ours est attestée dans les sociétés antiques et le haut Moyen Age chrétien. Et toutes les mythologies européennes font de l'ours un animal à part - dieu ou ancêtre de l'homme. Ces cultes sont-ils hérités du paléolithique ? Ils témoignent en tout cas de l'éclairage que l'histoire peut apporter à la préhistoire. »
Ours polaire
« En Europe, l'ours blanc est inconnu jusqu'à la fin du Moyen Age. Au xiiie siècle, le roi de Norvège offre au roi d'Angleterre l'un de ces animaux fabuleux, dit Piscator : il se baigne et pêche dans la Tamise. Les bourgeois de Londres lui achètent une chaîne en or. L'ours blanc ne prend vraiment sa place qu'à la fin du xixe siècle, quand on vient le voir dans les zoos et les cirques. Aujourd'hui, tout le monde sait qu'il s'agit d'une espèce menacée : la fonte de la banquise détruit ses territoires de chasse, et les survivants trouvent difficilement leur nourriture ; au point que les mâles adultes se comportent parfois en cannibales et dévorent les oursons. Sinistre fin pour un animal royal ! En historien des ours, j'en suis accablé. En citoyen de la planète, honteux et désespéré. »
Teddy-bear
« Ultime revanche de l'ours sur les hommes, l'ours en peluche naît en 1903, simultanément aux Etats-Unis et en Allemagne. L'histoire du teddy-bear est bien connue. Le président Theodore Roosevelt fait un safari dans le Mississippi. Pour lui éviter de rentrer bredouille, son entourage attache un ourson à un arbre, mais le président refuse de le tuer. Un fabricant de jouets de New York commémore l'événement en fabriquant le premier produit dérivé de l'histoire. Au même moment, à Stuttgart, Margarete Steiff commercialise un ours en peluche qui connaît aussi un grand succès. Avec l'ours en peluche, on voit renaître des pratiques de type cultuel comparables à celles des sociétés anciennes. L'enfant trouve en lui son premier compagnon, son ange gardien, son premier dieu. Contrairement à l'ours médiéval, le nounours n'a jamais abdiqué sa royauté. Malgré la concurrence des kangourous et autres pandas, il reste la star des peluches. »
L'armée des ours
«Malgré l'hostilité de l'Eglise envers l'ours, la ville de Berne arbore fièrement un ours sur sa bannière depuis le xiiie siècle. Un jeu de mots associe Bern, le nom de la ville, et le mot Bär, qui désigne l'ours en allemand. Berne est vraiment une ville à l'ours ; elle lui voue un culte comme à un animal totem. On y voit encore la fameuse fosse aux ours ; nous savons ce qu'ils mangeaient et quels étaient leurs noms. Au xve siècle, les habitants de Berne s'identifient à des ours, comme en témoigne cette étonnante peinture. Sous forme d'ours, ils partent affronter les troupes du duc de Bourgogne. Une identification efficace : en 1476, ils sont vainqueurs des troupes de Charles le Téméraire et s'emparent de son trésor, que l'on peut voir aujourd'hui au Musée historique de Berne. »
L'ours déchu
« Sur cette miniature du xiie siècle, l'ours n'est plus qu'un porteur de bagages. L'Eglise cherche à le déprécier en montrant que les hommes de Dieu sont plus forts que lui. L'anecdote est classique : saint Amand part en voyage, un âne porte ses bagages, arrive un ours qui dévore l'âne, mais le saint oblige la bête sauvage à prendre sa place. Les paroles du saint sont inspirées par Dieu, et l'ours comprend que rien ne sert de résister. Dans le même esprit, l'Eglise, qui déteste les spectacles d'animaux, tolère les montreurs d'ours au Moyen Age. Le roi des animaux devient une bête de cirque qui fait des cabrioles dans les foires, les gens peuvent le toucher, l'ours n'inspire plus la peur. »
L'ours courtisan
« Vers la fin du xiiie siècle, le roi-lion a détrôné le roi-ours dans toute l'Europe. Ce souverain venu d'Orient ne fait pas l'objet, comme son rival, de rituels préexistants, barbares et sanguinaires. Il appartient aux traditions écrites de la Bible et de l'Antiquité gréco-romaine alors que l'ours était l'animal des traditions orales. Sur cette image de la fin du xve siècle, le lion porte couronne et sceptre. L'ours est à ses pieds parmi ses courtisans. C'est l'histoire contée par le «Roman de Renart». Dans les plus anciennes versions, qui datent de la fin du xiie siècle, le lion est déjà le roi des animaux mais l'ours est encore son vice-roi. Bientôt il ne sera plus qu'un baron parmi d'autres, un courtisan ridicule auquel le goupil joue des tours. »
Chasse à l'ours
« On le voit sur cette image du début du xive siècle, la chasse à l'ours se pratique à pied. C'est une chasse violente, sauvage, un corps-à-corps entre l'homme et la bête avec échange de souffles et de sangs. Cette intimité bestiale terrifie les théologiens, et l'Eglise cherche à imposer la chasse au cerf, moins brutale. Mais les guerriers germains et slaves ont longtemps préféré l'ours, dont ils admirent la force. En le tuant, le guerrier capte sa puissance. En plein Moyen Age chrétien, les rituels païens subsistent ; le guerrier tue l'ours, boit son sang, revêt sa peau pour partir au combat. La lutte contre l'ours commence à l'époque de Charlemagne. Elle va durer des siècles, jusqu'à Saint Louis. Peu à peu la chasse à l'ours est dévaluée, la chasse au cerf s'impose comme divertissement royal, tandis que le lion devient le roi des animaux. »
Michel Pastoureau
Né à Paris en 1947, Michel Pastoureau est historien. Directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études (EPHE) et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), il a notamment publié :
l'Etoffe du diable.
Une histoire des rayures et des tissus rayés (1991)
Les Animaux célèbres
Une histoire symbolique du Moyen Age occidental (2004)
Michel Pastoureau est spécialiste du bestiaire héraldique médiéval et de l'histoire symbolique des sociétés européennes.
Catherine David, Le Nouvel Observateur : http://tempsreel.nouvelobs.com/
L'Ours. Histoire d'un roi déchu
Michel Pastoureau
Edition SEUIL
Du monde des cavernes à celui de notre enfance, l'historien Michel Pastoureau déroule l'odyssée du fameux plantigrade. Passionnant
Chaque fois que l'on ouvre un livre de Michel Pastoureau, on sait que l'on s'embarque pour un passionnant voyage dont on reviendra un peu sonné, regardant le monde avec des yeux différents. L'auteur d'une histoire des rayures et des tissus rayés (L'Etoffe du diable) et de la couleur bleue s'est lancé dans une extraordinaire histoire de l'ours. Cette Histoire d'un roi déchu narre plus de trente mille ans de rapports entre le plantigrade et nous. Pas seulement dans l'imagerie populaire, l'héraldique ou les contes, mais jusque dans notre vocabulaire. On apprend ainsi que «baron» vient des langues germaniques - Bär, qui donnera baro, signifiant «celui qui frappe et qui tue».
Le récit de Michel Pastoureau part des cavernes préhistoriques, partagées par les hommes et les ours, pour se terminer dans le lit des tout-petits, avec leur ours en peluche, alors que l'espèce de cet animal longtemps considéré comme le roi des animaux (3,50 mètres pour un mâle debout, et jusqu'à 600 kilos), sans doute intercesseur auprès de l'au-delà, est pratiquement éteinte. Mais cette fresque sur laquelle souffle un vent picaresque est tout sauf sentimentale.
Au Moyen Age, l'ours symbolise le diable
L'historien nous raconte le travail de sape de l'Eglise, qui, pendant mille ans, a mis son énergie à combattre l'animal. Saint Augustin sera son plus farouche adversaire. A partir du Moyen Age, en effet, le diable est omniprésent, notamment dans les rêves des souverains et des moines («On rêve beaucoup en Occident à l'époque féodale», raconte Michel Pastoureau). Il adopte toutes sortes de déguisements pour tromper les humains, et l'ours, qui souvent terrorise les populations, finit par symboliser le Malin. Il faudra attendre les années 1950 pour que l'ours fasse son come-back - en peluche. C'est là sa revanche.
Jean-Sébastien Stehli
En partenariat avec l' Express : http://www.lexpress.fr
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