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*** ci-dessous "Livres-mystiques".: un hommage à Roland Soyer décédé le 01 Juin 2011

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dimanche 27 mai 2007

SYMMYSTA - Sur les pas d' un Initié, un roman initiatique






















de Xavier CUVELIER-ROY

" François Martignas est libraire à Angers. Un événement exceptionnel va lui permettre de retrouver et suivre les traces de son lointain ancêtre, Guillaume de Martignas, fidèle compagnon de route de Louis-Claude de Saint-Martin, dit le philosophe Inconnu. Dans ce nouveau roman, Xavier Cuvelier-Roy nous entraîne à la découverte de deux grands mouvements philosophiques initiatiques et traditionnels, et de leurs émergences contemporaines : le rosicrucianisme et le martinisme. Cette invitation nous emmène à mettre nos pas dans ceux d’ un initié, au cœur d’ un récit où fiction et faits historiques se mêlent étroitement.



Avertissement



L'auteur s'impose d'avertir que le style spécifique au XVIIIe, siècle, qu'il adopte dans les extraits dits « Mémoires de Guillaume de Martignas », ne correspond en aucun cas aux canons de l'époque (lesquels d'ailleurs, étoioent forts divers selon l'école, sans invoquer l'orthographe qui laissé bien des libertés au profi dela faunétique).
Il a donc usé d'artifices peu orthodoxes, certes, mais a préféré privilégier le confort de lecture, aux difficultés d'un déchiffrement laborieux qui aurait contraint ses lecteurs à un pénible exercice.
J'implore, d'avance, la clémence des puristes en la matière, tout en les assurant de ma profonde admiration et de tout mon respect pour la langue écrite du Siècle des Lumières.

X.C.R.


Prologue :

Au terme de trois entretiens particuliers avec Louis­Claude de Saint-Martin, dit le Philosophe Inconnu (1743-1803), un jeune nobliau bordelais, Guillaume de Martignas, reçoit par la voie du coeur une authentique initiation - bien que le Maître n'ait établi aucune ordre particulier - et accepte une mission. Sa vie va basculer. Grand voyageur, aventurier solitaire, il s'est établi, depuis 1801, à l'âge de 55 ans, en terre d'Anjou, dans le Saumurois, où il a posé son vieux sac de cuir, compagnon inséparable de ses pérégrinations. Ce qu'il contient, entre autres, demeure pour lui sa bible : un exemplaire de L'Homme de désir, dédicacé d'une précieuse et inestimable adresse de l'auteur. Quelques bonnes affaires de commerce et un petit héritage inespéré de son oncle lui ont permis de s'établir et de fonder un foyer. Deux années plus tard, Louis-Claude de Saint-Martin expire. Un ultime entretien a fait de Guillaume davantage qu'un héritier, un disciple ! (Voir SURSUM CORDA, du même auteur, dans Bibliographie)

Guillaume n'ignore pas que son maître a dispensé ses bénédictions à plusieurs instruits. Quelques-uns lui sont connus, il les compte sur les doigts d'une seule main; tous suivent librement leur propre voie. Chacun comme il se doit, à sa manière, doit « fouiller les bases profondément, s'efforcer d'élaguer les éléments futiles pour dégager les racines essentielles (1) », tant l'ardeur des uns n'a d'égale que la mauvaise foi des autres. A-t­on hésité, par exemple, à éditer une fausse « Suite des Erreurs et de la Vérité ? »


Guillaume entretient une correspondance ponctuelle avec Jean-Baptiste Willermoz, qui a rompu toutes relations avec les sociétés de magnétisme lyonnaises. Malheureusement, cela s'est fait aux dépens de la pérennité des Chevaliers bienfaisants de la Cité sainte. L'âge passant, il a entrepris de rédiger nombre de rituels, mais aussi de traités fort éclairés. Martignas est frappé qu'au soir de leur vie, les deux grandes lumières du martinézisme (2) se soient rapprochées des premiers objets de leur quête, Saint­-Martin par la seule voie cardiaque, Willermoz par l'institution solide du Rite Écossais Rectifié. À cela s'ajoutent quelques rencontres avec Joseph Gilbert, Nicolas Tournyer, et bien sûr Gence, aux côtés duquel il aurait dû se trouver pour recueillir le dernier souffle du Philosophe Inconnu.

Par pudeur, il ne s'était point mêlé de la succession de son ami, taisant la mission matérielle que celui-ci lui avait donnée, concernant le classement des nombreux manuscrits, cahiers, notes et traités inachevés qu'il avait laissés en l'état. D'autres s'en chargèrent avec plus ou moins de bonheur, dans la confusion et parfois aussi l'abus, favorisant très certainement la perte irrémédiable de pièces précieuses !

De retour au pays, Guillaume de Martignas entreprit l'oeuvre confiée et contribua à faire connaître la pensée du « plus instruit, du plus sage et du plus élégant des théosophes (3) ».

Un soir de juin 1823, dans la paix et la sérénité de tous ceux qui sont passés en
faisant le bien(4), il rejoignit à l'Orient éternel celui qui lui avait dévoilé que son « coeur est le germe de l'Esprit saint, que son âme est le véritable Temple de l’ homme (5), le miroir dans lequel Dieu se révèle ».


***


Ce préliminaire établi, commence une autre histoire qui s' annonce au crépuscule du XXe siècle, pour se terminer dans celui dont André Malraux nous aurait averti « qu'il serait spirituel ou pas ! (6) »

Nous sommes, dès les premières pages, immergés dans notre environnement habituel, où le pragmatisme s'impose à la réflexion, le rendement au respect des rapports humains, le seul profit élevé au rang d'une religion. Humanoïdes pressés, stressés, conditionnés à la pensée unique, soumis à un monde mécanique où tout le monde prétend détenir la vérité, certains même, imposer leur vérité.

Ce sont les mêmes qui cherchent à nous amadouer en affirmant « que nous ne sommes plus au Moyen âge, époque d'obscurantisme ! » Eh bien ! Que ceux-là sachent que bien des chercheurs, lassés par leur mépris, en arrivent à le regretter. En ces temps-là, l'illettré savait déchiffrer les symboles qui décoraient le portail de nos cathédrales, elles-mêmes construites selon la règle stricte du nombre d'or. L'on étudiait Le Timée de Platon à l'École de Chartres (M. DAVY, Initiation à la symbolique romane) et la langue latine rassemblait en un même moyen d'expression tous les lettrés européens (GILRAM, Introduction à la sagesse traditionnelle). Il ne s'agit point, assurément, de pleurer « le temps des lampes à huile et de la marine à voile », mais simplement de reconnaître que le véritable siècle des Lumières n'est pas forcément celui auquel on se réfère aveuglément. Saint-Augustin reste un auteur moderne. Mais qu'il soit bien entendu que l'homme doit vivre avec son temps, à défaut, il... le, perd !


Le liseur trouvera, certes, un mode de lecture familier, mais aussi et surtout, une préoccupation permanente de l'auteur à privilégier la sincérité sans user de la « langue de bois », à rendre perméable ce que d'irréductibles nostalgiques s'acharnent à maintenir comme « secret » et qui n'est que « discret ». La littérature surabondante de ces dernières années, improprement classifiée dans les catalogues ou les étagères de libraires sous diverses appellations d'ésotérisme, d'occultisme, d'hermétisme, a largement contribué à révéler ce qui pouvait l'être.
Hormis les rituels initiatiques - quoique, parfois... -, tout ou presque a été rendu public.

Que la vérité est belle, bien plus belle que légendes et arrangements, lorsqu'elle est simplement exprimée, avec simplicité, impartialité.

La Tradition est une, la transmission peut être multiple lorsqu'elle est respectueuse de la source, tolérante pour les autres écoles. En la matière et de tout temps, le rosicrucianisme comme le martinisme (7), sans donner de leçons ni en recevoir de quiconque, se proteste sans complexe mais sans excès. Des universitaires, des historiens, des chercheurs de notoriété internationale tels Robert AMADOU, Roland EDIGHOFFER, le professeur Antoine FAIVRE, Nicole JACQUES-LEFÈVRE, Massimo INTROVIGNE, - que tous les autres, non cités, me pardonnent - le disent et l'affirment en toute indépendance de chapelles, d'organisations et d'obédiences.

Un descendant direct de Guillaume de Martignas nous attend, nous entraîne dans sa quête du mieux faire, du mieux vivre, du mieux penser.

Ad rosam per crucem, ad crucem per rosam. In ea in eis gemmatus resurgam (8) !

Le Barcares, à l'équinoxe d'automne 2003

Roman Initiatique, E.C.A., décembre 2005


Tirage limité à 100 exemplaires, constituant l' édition originale,
Exemplaire numéroté et signé par l' Auteur : Xavier CUVELIER-ROY
ISBN / 2-9524764-1-1


Publié en Portugais par la Diffusion-Rosicrucienne, AMORC-Pays de langue portugaise :
http://www.shopping.matrix.com.br/amorc/departamento.asp

http://www.cuvelier-roy.com/

La fable de l' oiseau libre, et de l' oiseau en cage de Louis-Claude de Saint-Martin



De Louis-Claude de Saint-Martin

La fable de l'oiseau libre, et de l'oiseau en cage


Le premier, la nature pourvoit à ses besoins : le second, c'est le maître même de la maison qui s'occupe de lui et qui lui apporte la nourriture la plus recherchée.Plus on s'élève, plus la confiance augmente. Lorsqu'on descend, c'est le scrupule qui en prend la place. Aussi, la preuve que les instituteurs nous font descendre, c'est qu'ils ne nous mènent pas au scrupule.Dans la route que les faibles regardent comme la plus sûre, ils sont réduits à s'efforcer de croire, c'est-à-dire qu'ils croient, tandis que dans l'autre route, on ne peut pas s'en empêcher.Dieu fait tout pour nous dans notre enfance, en ce qu'Il enveloppe notre foyer radical et ténébreux de toutes les faveurs naturelles de la Sophie qui sont produites par le fiat. A mesure que nous avançons en âge, il attend que nous lui rendions les soins qu'il a eus de nous dans les premiers moments de notre vie et que nous aurons soin de lui à notre tour.Nous n'aspirons de l'atmosphère pur et restaurateur, qu'une somme d'air égale à celle de l'air méphitique, que nous devons commencer par expirer auparavant.Il faudrait dans l'instruction ne parler des livres qu'à la dernière extrémité et qu'après avoir épuisé tout ce que la nature et l'homme peuvent nous apprendre.L'Homme Corporel - terrestre est une plaie en suppuration perpétuelle et où il ne se fait jamais d'esquarre ; que sont nos linges et nos vêtements qu'il faut sans cesse renouveler, sinon la charpie de nos blessures ?Si Dieu s'en rapportait aux hommes, il n'y en a pas un qui ne fût digne d'être Son favori et d'être regardé comme tel par tous ses semblables : car il n'y en a pas un qui ne se croie au suprême degré de la lumière, de la justice, de la vérité et de l'esprit.En descendant dans nos profondeurs, nous trouvons des leviers et des germes puissants qui nous élèvent dans les régions vives et de tous les genres et de tous les degrés ; en nous tenant aux régions extérieures et de surface, nous ne trouvons que des germes débiles et impuissants qui ne végètent que dans l'horizontal et nous précipitent avec eux dans la mort.

vendredi 25 mai 2007

texte extrait de la Bibliothèque de Littérature Spiritualiste Et Mystique




Louis-Claude de Saint-Martin, prophète de l’espérance


Quoique mort en 1803, celui-là appartient à mon domaine1, et je serais désolé qu’il m’échappât. C’est que les siècles, n’en déplaise aux fanatiques de la chronologie, n’ont pas tous nécessairement cent ans et leur première année ne se termine pas toujours par le chiffre un. À n’en pas douter, le XIXe siècle est né en 1789, avec la Révolution Française et l’Histoire contemporaine. Mais il y a d’autres raisons à mon choix, plus impératives. Ce grand homme est une des meilleures têtes philosophiques de chez nous. Et je n’entends pas par là un être à systèmes, échaffaudeur d’abstractions comme nous n’en avons jamais manqué en France, mais un penseur authentique qui creuse jusqu’aux réalités profondes, en pompe le suc nourricier, en écoute battre le coeur. En ce sens, il peut être comparé à Pascal et en certains points il l’égale.
Claude de Saint-Martin est une source. Il rassemble dans son creuset et concentre pour notre usage les filets souterrains d’une onde cachée qui nous vient des quatre horizons depuis l’origine du monde. La connaissance qu’il propage descend des principes et monte de l’observation des choses. Elle domine sans l’exclure la science moderne par l’amour, et lui redonne son sens en l’obligeant à garder sa place. Elle surmonte les philosophies par l’humilité : ne cherchant pas à fonder une vérité humaine, elle enseigne les voies qui conduisent à celle de Dieu.
Immense doctrine, dont notre héros n’est pas l’inventeur, mais le distributeur génial ; inspiration qui marque d’un signe incomparable le front de tous les mystiques : penseurs, artistes ou poètes et qui établit entre eux la secrète alliance des prédestinés. On en trouve ailleurs, chez Joseph de Maistre, Ballanche, Bonald ou Fabre d’Olivet des fragments présentés parfois d’une manière plus brillante mais jamais avec un sens plus complet et plus intime de l’unité.
Qu’une telle lumière ait pu être maintenue pendant deux siècles sous le boisseau, c’est une gageure, et l’une des preuves les plus convaincantes de l’extrême délabrement des âmes contemporaines ou du moins de leurs conducteurs patentés, radicalement imperméables à toute rosée qui vient d’en-haut. Claude de Saint-Martin, on peut le dire, s’est bien un peu prêté à cette ignorance du commun. Ce n’est pas un auteur badin et son genre d’« esprit » n’est pas celui de Voltaire. Il y a dans ses pages quelque chose d’escarpé qui tient à la nature du sujet, et une singularité de vocabulaire qui est à la fois coquetterie d’original et pudeur du croyant qui veut écarter du temple les regards frivoles.
Je ne sais ce qu’il faut penser des loges qui se réclament de son nom.


extrait d' un très bon article de Raymond CHRISTOFLOUR


mercredi 23 mai 2007

Louis-Claude de Saint-Martin ( 1743-1803) ILLUMINISME XVIII° siècle

C.-Camille de Bruyères
CCB - Le Pélican
&&&

Louis-Claude de Saint-Martin
(1743-1803)


BIBLIOGRAPHIE




A. Oeuvres de LOUIS-CLAUDE de SAINT-MARTIN


DES ERREURS ET DE LA VERITE, ou les hommes rappelés au principe universel de la Science, par un PH...INC...Edimbourg (Lyon) 1775. Réédition, ibid. 1782.

TABLEAU NATUREL DES RAPPORTS QUI EXISTENT ENTRE DIEU, L'HOMME ET L'UNIVERS. 1782. Réédition :
Paris, édition de l' Ordre Martiniste, Chamuel, 1900.

L'HOMME DE DESIR. Lyon 1790. Réédition Metz 1802 ; Milan 1901.

ECCE HOMO. Paris, au Cercle Social 1792. Réédition Chacornac, Paris 1901.

LE NOUVEL HOMME. Paris, au Cercle Social, 1792.

LETTRE A UN AMI, ou considérations politiques, philosophiques et religieuses sur la Révolution Française. Paris 1795.

ECLAIR SUR L’ASSOCIATION HUMAINE, par l’auteur du livre Des Erreurs et de la Vérité. Paris 1797

LE CROCODILE ou la guerre du Bien et du Mal arrivée sous le règne de Louis XV, Poème épico-magique en 102 chants, Paris 1798.

REFLEXIONS D’UN OBSERVATEUR sur la question proposée par l’Institut:
" Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale d’un peuple ? " Paris 1798.

DE L'INFLUENCE DES SIGNES SUR LA PENSÉE. Paris 1799,1801

L’ESPRIT DES CHOSES, ou coup d’oeil philosophique sur la nature des êtres et sur l’objet de leur existence. Paris 1800.

LE CIMETIERE D’AMBOISE. (16 pages) Paris 1801. Réédition Paris Chacornac 1913.

LE MINISTERE DE L’HOMME ESPRIT. Paris 1802.

DISCUSSION DE SAINT-MARTIN ET DE GARAT. Au tome III des Débats de l' Ecole Normale.
1801.

OEUVRES POSTHUMES. Deux volumes de mélanges. Tours 1807

TRAITE DES NOMBRES. Lithographié en 1843. Paris Dentu 1862. Réédition en tirage à part du "Voile d' Isis». Paris Chacornac 1910.

CORRESPONDANCE AVEC KIRCHBERGER. Paris 1862.

CINQUANTE LETTRES À WILLERMOZ (dans l’ouvrage de PAPUS.1902)

Traductions de JACOB BOEHME :

- L’AURORE NAISSANTE. Paris 1800. Réédition Milan 1921
- DES TROIS PRINCIPES DE L'ESSENCE DIVINE. Paris 1802.
- QUARANTE QUESTIONS sur l’origine, l’essence, l’être, la nature et la propriété de l’âme. Paris 1807
- DE LA TRIPLE VIE DE L’HOMME, Paris 1809.

La "suite des Erreurs et de la Vérité" n’est certainement pas de Saint-Martin; un mystérieux " Livre Rouge " est peut-être de lui ; on trouve dans Saint-Martin lui-même, dans Joseph de Maistre, etc., la mention de certains traités
(« De l’origine et de l' Esprit des Formes") qui circulèrent sans doute dans de petits cercles; ils sont perdus ou ensevelis dans des archives privées, comme celles de l' Ordre Martiniste.


B. Ouvrages consultés


R. LE FORESTIER - LES ILLUMINES DE BAVIERE ET LA FRANC-MAÇONNERIE ALLEMANDE.
Thèse pour le doctorat. Paris 1915.
Quelques allusions au martinisme; utile surtout pour l’histoire de Willermoz et du convent de Wilhemsbad.

R. LE FORESTIER - LES PLUS SECRETS MYSTERES DES HAUTS-GRADES DE LA MAÇONNERIE DEVOILES.
Thèse complémentaire. Paris.
Réimpression d’un opuscule paru en 1774, avec une longue introduction.

R. LE FORESTIER - L’OCCULTISME ET LA FRANC MAÇONNERIE ECOSSAISE.
Paris Perrin, 1928.
Histoire sommaire de la tradition occultiste et magique ; puis histoire de la maçonnerie écossaise avec description des cérémonies des grades. Le dernier chapitre, l’envers du rationalisme" indique la conclusion.

J. de MAISTRE - LES SOIRÉES DE SAINT-PETERSBOURG.
(Garnier) Particulièrement le IIè entretien.

J. de MAISTRE - LA FRANC-MAÇONNERIE.
Paris, Rieder 1925.
Il s’agit du " Mémoire au duc de Brunswick " (1782) édité avec une introduction très soignée par Dermenghem.

M. MATTER - SAINT-MARTIN, LE PHILOSOPHE INCONNU, sa vie et ses écrits, son maître Martinez et leurs groupes.
Paris Didier, 2è édition, 1862.
L’Ouvrage le plus riche et le plus sympathique sur Saint-Martin, bien informé, riche en textes. Il faut néanmoins s’en servir avec prudence, et nous aurons souvent à le rectifier sur des points de détail.

A. MONGLOND - HISTOIRE INTERIEURE DU PRÉROMANTISME FRANCAIS de l’abbé Prévost à Joubert.
Thèse. 2 vol. Grenoble Arthaud, 1929.
Thèse intelligente : malheureusement l’enquête de Monglond n’est pas terminée, et il ne traitera systématiquement de Saint-Martin que dans la partie de son travail qui n’a pas encore paru.

L. MOREAU - LE PHILOSOPHE INCONNU, REFLEXIONS SUR LES IDÉES DE LOUIS CLAUDE DE SAINT MARTIN, le théosophe, suivies de fragments d’une correspondance inédite entre Saint-Martin et Kirchberger.
Paris, Lecoffre. 1850.
Vieil ouvrage, antérieur à ceux de Caro et de Matter. Il vaut encore par des citations et des analyses.

D. MORNET - LA PENSEE FRANCAISE DU XVIIIè siècle.
Paris, Armand Collin, 1926.

D. MORNET - LES ORIGINES INTELLECTUELLES DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE 1715-1787. Paris, Armand Collin, 1933.
Le premier ouvrage de M. Mornet, malgré son titre ne fait aucune place à Saint-Martin... Dans le second cf. notamment 3è partie, chVII, p.357-387, et bibliographie, p.523-525 (sur la maçonnerie).

G. DE NERVAL - LES ILLUMINES.
Paris, Bernouard, 1929.
En particulier les articles sur Cazotte et Cagliostro.

PAPUS (Docteur Gérard Encausse) - LOUIS CLAUDE de SAINT-MARTIN.
Paris, Chacornac. 1902.
L’auteur était avec Stanislas de Guaita, le rénovateur de l’ordre martiniste à la fin du XIXè siècle. Son livre comprend une biographie qui est un enchaînement d’erreurs et de déductions fantaisistes, puis, p. 83 à 209, une correspondance très intéressante de Saint_ Martin à Willermoz; enfin quelques notes sans grand intérêt et un index pour l’ouvrage de Matter.

C.A. SAINTE-BEUVE - CAUSERIES DU LUNDI.
Tome X, p. 235-278.
3è édition, Garnier s.d.
Deux causeries de juin 1854, lucides et intelligentes.

SAIR - CLAUDE DE SAINT-MARTIN, Interprétation de la véritable doctrine et de son application comme base de la sociologie. Nantes, P. Lessard, 1905.
Le "Manuel Bibliographique des sciences psychiques ou occultes" de Caillet (Dorbon 1913) signale cette brochure sous lez N° 9775 : "Livre d’un puissant intérêt pour tous les martinistes et tous ceux qui recherchent les écrits sur Saint-Martin". On en demeure stupide.

A. THIBAUDET - HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE de 1789 à nos jours.
Paris stock 1936.
Quelques mentions de Saint-Martin, notamment à propos de Balzac.

G. VAN RYNBERK- UN THAUMATURGE AU XVIIIè siècle: MARTINES DE PASQUALLY, sa vie, son oeuvre, son ordre.
Paris, Alcan1935.
Oeuvre d’un adepte, laborieuse et assez mal composée, mais publiant, p. 129 à 181 de précieux documents.

A. VIATTE - LES SORCES OCCULTES DU ROMANTISMES;
Thèse, 2 volumes, Paris Champion, 1928.
Une très grande richesse d’informations, mais qui reste médiocrement utilisée ; l’analyse des doctrines est particulièrement faible.

LE CHANSONNIER DES FRANCS MAÇONS. A Jérusalem, chez les Amis Réunis.

BIOGRAPHIE UNIVERSELLE.
Michaud, Tome XL, 1825.
Article sur Saint-Martin par un de ses disciples.

Dans la GRANDE ENCYCLOPÉDIE, assez bon article sur Saint-Martin et abracadabrante fantaisie sur son rôle maçonnique à l’article "Franc-Maçonnerie".

Dans l'ENCYCLOPÉDIE BRITANNICA (IIè édition, notamment les articles Freemasonry (sur la maçonnerie anglaise avant la grande loge), Kabbalha, et Saint-Martin (extrément fiable)

Dans l’ENCYCLOPÉDIE DES SCIENCES RELIGIEUSES, Tome XI. Médiocre article sur Saint-Martin de M. Jules Arboux.

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INTRODUCTION


C'est ici l’histoire d’une âme religieuse dans un siècle qui ne l’était pas. Thème devenu banal : réinventer des satisfactions pour le sentiment religieux dans des sociétés où beaucoup d’esprits se sont détournés de la religion établie, cela se trouve aujourd'hui, sinon dans tous les journaux, du moins dans toutes les petites revues et dans quelques grandes. Louis-Claude de Saint-Martin vécut cette situation psychologique avec acuité : mais si son caractère force la bienveillance et la sympathie l’originalité de sa pensée ne commande pas constamment l’admiration. Ce n’est pas un philosophe de la voie royale ; le malheur d’une rencontre de jeunesse en fit même longtemps un philosophe d’une espèce obscure et souterraine.
Mais d' une part, la sympathie qu’il inspirait ne s’est jamais éteinte depuis plus d’un siècle et demi : et elle a communiqué à ses idées je ne sais quelle chaleur qui leur permet de nourrir encore aujourd'hui des coeurs inquiets.
Et d' autre part, avec lui, nous pourrons suivre la tentative qui, pour avoir échoué n’en est pas moins étonnante, d’un groupe d’hommes qui tentèrent de "renverser la vapeur" du siècle des lumières et des philosophes en soumettant à leur foi l’actif instrument d’influence que représentait la maçonnerie, Martines de Pasqually, J.-B.Willermoz, Louis-Claude de Saint-Martin sont des conspirateurs malheureux de l’histoire des idées. On s’attachera aussi à chercher pourquoi.

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1 : LES ANNÉS DE JEUNESSE, LES PREMIÈRES LECTURES
Celui qui devait être la plus connue des incarnations du philosophe inconnunaquit à Amboise le 18 janvier 1743. Sa famille était de petite noblesse etprobablement aussi de petite fortune. Il était fils unique, comme on l'était dans sa famille depuis quatre générations, et il le nota avec plaisirlorsqu' il crut avoir pénétré quelques unes des secrètes vertus de cechiffre IV (1). Son père l’éleva, dit Matter, " avec la gravité desmoeurs du temps. " (2). Ce temps est celui de Louis XV, qui ne passe paspour particulièrement austère. Mais dans une famille pieuse et provinciale,ce n' est peut-être pas un vain mot. En tout cas Saint-Martin garderatoujours à son père un sentiment de tendre et respectueuse vénération, unsentiment pour tableau de Greuze. Quant à sa mère, morte très tôt, il ne laconnut pas, mais une belle mère la remplaça bientôt au foyer familial quisut conquérir l’affection de l’enfant. Il a pour parler d’elle un motimagé et qui fleure le jansénisme : " je me rappelle " dit-il d’avoir sentien sa présence une grande circoncision intérieure qui m’a été fortinstructive et fort salutaire." (3). Du milieu familial, il passa ensuiteau collège de Pont-Levoy, où il précéda ainsi un autre grand tourangeau quesa pensée plus tard devait influencer, Honoré de Balzac. Bref, la premièreenfance de Saint-Martin baigne dans un milieu naturellement grave etreligieux, bien propre à former une âme sensible et pieuse.
Cet homme pour Abbadie n’est cependant pas entièrement perdu: car il n’est pas seulement matière, mais encore esprit ; Abbadie n’a que le dédain pour ceux qui veulent faire de cet esprit, " quelques atomes enfermés dans je ne sais quel petit tuyau" (8). Cette partie spirituelle de notre être, c’est notre facteur de grandeur : notre intelligence n’est jamais lasse de connaître, notre coeur jamais las de désirer, et cette perpétuelle inquiétude est un bien, car elle nous conduit à rechercher Dieu qui peut seul porter remède à notre tourment : on reconnaît le thème augustinien de « l' irrequietum... ». Encore faut-il, bien entendu que ce principe de perpétuel désir qui est dans notre coeur soit bien orienté : la psychologie d' Abbadie distingue entre l’amour de nous même qui est légitime et l’amour-propre qui est l’usage vicieux de ce même penchant (9), et la différence consiste surtout en ce que, dans l’amour de nous même et dans celui-là seulement, nous nous considérons en dehors de l’esclavage du temps et comme des êtres immortels. Aux " motif du temps", s’opposent les "motifs de l’éternité" (10). En tournant la grande force de désir qui est dans l’homme en un amour de soi-même dans l’éternité, on agira utilement sur lui et on pourra espérer l’arracher à sa corruption. Opération qui est l’affaire du sentiment. Bien entendu, du "coeur" pascalien bien plus que de l’intelligence : on pourrait multiplier les citations d' Abbadie montrant que dans la collaboration des puissances de l’homme, c’est au coeur que revient le rôle principal : " Le sentiment est donc destiné à fixer cette intelligence et à l’appliquer principalement à des objets qui l’intéressent... (11)...La vérité tire toujours sa force de notre coeur. En effet il est de la lumière de l’entendement comme de celle de la nature. Elle éclaire tout, mais elle n’émeut rien par elle-même."(12). Et si l' l’Evangile peut nous guider dans cette conversion à l’éternité, c’est parce que " l’Evangile est la loi naturelle accommodée à l’état et aux relations de l’homme immortel" (13), par opposition aux autres révélations comme le Décalogue, qui sont des adaptations de la loi naturelle de l’homme à des circonstances de temps et de lieu relatives à un peuple donné. (14).

Nous retrouverons souvent dans Saint-Martin quelques uns de ces thèmes, thèmes communs de la piété pour une part, mais dont l’élaboration, d’ailleurs assez vigoureuse, autour de la notion de temps, devait avoir une longue résonance dans l’âme du jeune homme. Et plus encore peut-être, Saint-Martin devait être sensible à l’appel au sentiment que ce livre lui adressait : « ce n’est pas la tête qu’il faut se casser pour avancer dans la carrière de la vérité, dira-t-il plus tard c'est le cœur ». (15) Par tempérament le philosophe inconnu restera toujours comme l’écolier de Pontlevoy qui lisait Abbadie, un tendre, une âme sensible.
Il lit assurément aussi, et dès le collège, en même temps que les "Méditations" de Descartes, les oeuvres des philosophes à la mode. Voltaire, Rousseau, Diderot. Il est fort significatif de sa tournure d’esprit qu’à tous ceux-là, il préfère Abbadie. A vrai dire, il ne sera jamais philosophe, mais théosophe. Et son attention ne s’oriente même guère davantage vers des problèmes concrets lorsque poussé par son père, il entreprend des études de droit et les mène à terme. Les théories des philosophes dont on parlait partout sur les lois ou le contrat social ne le préoccupent pas directement ; et les détails de la science juridique bien moins encore.
Avocat du roi au siège présidial de Tours, il lui fut toujours impossible pendant l’espace de six mois de comprendre qui avait gagné ou perdu un procès plaidé et jugé devant lui. Il lui fallait trouver un biais pour rejoindre à partir des problèmes juridiques, les grands thèmes de sa réflexion sur la destinée de l’homme. Il le découvrit à la lecture des " Principes du Droit Naturel" de Burlamaqui. Ce fut sa seconde grande rencontre intellectuelle. Le jeune robin dégoûté des prétoires, religieux et sensible, s'exaltait en les lisant à la campagne, soit dans la propriété maternelle d’Athée (il la vendit, vous pensez bien, avec un nom pareil) (16), soit en se promenant près du cimetière d’Amboise :

Sage Burlamaqui, c’est non loin de ces lieux,
Que tu sanctifias l’aurore de mon âge ;
Q' un feu sacré, sorti de ton profond ouvrage,

Agitant tout mon corps de saints frissonnements,
De la justice, en moi, grava les fondements. (17)


On comprend bien ces frissonnements théologico-juridiques : l’ouvrage du professeur genevois rattachait en effet les questions fondamentales du droit à l’ordre de méditations dans lequel Abbadie avait introduit Saint-Martin, à une méditation sur l’homme. L’idée du droit étant relative à l’homme, Burlamaqui pose que c’est de la nature même de l’homme, de sa constitution et de son état qu’il faut déduire les principes de la science juridique (18). Or l’homme se caractérise d' abord comme un être doué d’entendement, de volonté et de liberté. S’il réfléchit sur lui même, il constatera qu’il ne fait rien qu’en vue de son bonheur : il est à lui même la propre fin de son action, et ce désir de félicité, cet amour de soi-même bien entendu que, pas plus qu' Abbadie, Burlamaqui ne considère comme mauvais, est inséparable de la raison. " Raisonner, c’est calculer, et faire son compte en balançant tout pour voir enfin de quel côté est l’avantage". (19). Bien plus, c’est uniquement par la raison que l’homme peut parvenir au bonheur, c’est à dire à cette satisfaction intérieure de l’âme qui naît de la possession de ce qui convient à l’homme pour sa conservation, pour sa perfection ou pour son plaisir. La raison est donc elle-même la règle primitive de l’homme, et le droit se définira " tout ce que la Raison reconnaît certainement comme un moyen sûr et abrégé de parvenir au bonheur, et qu’elle approuve comme tel. " (20). Enfin, l’homme ne pouvant pas être considéré seulement en lui même, mais devant l’être encore dans ses états de relation et de la dépendance, la Loi sera la volonté d’un supérieur prise d’un supérieur prise comme règle d’action, cette volonté ne pouvant rien contenir bien entendu, de contraire à la raison. Quel sera le fondement de la souveraineté ou du droit de commander? Burlamaqui repousse successivement l’opinion de Hobbes qui cherche ce fondement dans la supériorité de force, et celle de Puffendorf qui la cherche dans l’excellence de la nature. Il veut en somme joindre les deux idées dans celle d’une puissance supérieure accompagnée de sagesse et de bonté (21). C’est mettre le déisme au fondement du droit, et la position théocratique de Saint-Martin ne fera que développer cette manière de voir.


Si l’on passe ensuite, en effet, avec Burlamaqui, à la recherche des lois naturelles, on trouvera qu’il existe une puissance supérieure infiniment sage et infiniment bonne : c’est Dieu (démontré par l’argument a contingentia mundi, par la preuve du premier moteur et par la beauté de l’univers). Cette puissance a prescrit des lois aux hommes et leur a donné deux moyens de les reconnaître : l’instinct moral (à propos duquel Burlamaqui cite Huchinson (22) et la raison qui vient vérifier les pressentiments de l’instinct. Dès lors, avec ces deux moyens, on considérera la nature de l’homme, avec sa constitution et son état, pour s’efforcer de parvenir à la connaissance des lois naturelles : et ce sera suffisant, c’est à dire que la lumière naturelle " qui n’a pas été refusée à personne " (23) est suffisante pour nous mener à la connaissance de tous nos devoir. La conscience, c’est "la raison elle-même considérée comme instruite de la règle que nous devons suivre ou de la Loi Naturelle, et jugeant de la moralité de nos propres actions et de l’obligation où nous sommes à cet égard, en les comparant avec cette Règle, conformément aux idées que nous en avons." (24) Et quant aux sanctions de ces lois naturelles, elles sont à la fois dans le plus grand bonheur que leur observation nous procure ici bas, et plus encore dans la vie à venir (25).
On n’entrera pas dans l’analyse du second volume de Burlamaqui consacré aux Principes du Droit Politique. On nous pardonnera celle du premier si l’on songe à l’importance de cette lecture dans la formation morale de Saint-Martin. Saint-Martin est l' homme d' un très petit nombre de livres ; ceux dont il nous a dit qu' il leur devait quelque chose méritent notre attention ; de toutes les études juridiques du jeune homme, on ne peut retenir que cet ouvrage de Burlamaqui ; et ses études juridiques ne sont pas de nulle importance pour la compréhension de sa pensée ; qu' on songe seulement que tout un chapitre de son premier ouvrage, le "Des erreurs et de la Vérité" est consacré à l' examen des grands problèmes du droit (26) Nous pourrons donc préciser plus tard la dette de Saint-Martin au sage Burlamaqui.
Si cependant une remarque est permise dès maintenant sur ces lectures de jeunesse, nous noterons que les maîtres que se choisit Saint-Martin, le théologien comme le juriste, l’entretiennent de l’homme bien plus que de Dieu. Sans doute, nous l' avons dit, Abbadie confirme la loi naturelle par l' Evangile ; sans doute, aux deux dernières pages de son ouvrage, Burlamaqui ajoute que "ce qui est déjà si probable par la seule raison, est mis par la Révélation dans une pleine évidence" (27) . Mais il n’en reste pas moins que le rôle de Jésus-Christ dans ces livres est extrêmement réduit. Saint-Martin lui-même nous apparaît alors en cette première époque comme un jeune homme très intérieur, qui a le goût de l’étude (celui de la méditation, de la rêverie active, d' ailleurs, plus que celui de la lecture) et qui est préoccupé plus directement par les problèmes moraux que par les problèmes métaphysiques ou théologiques. Il va abandonner la robe pour l’habit militaire, sans que l’on sache très bien pourquoi, et probablement simplement pour changer, parce que la magistrature l’excédait : il y a vingt-deux ans alors, et les termes dans lesquels le problème central de sa vie intérieure se formulera sont déjà en partie arrêtés : ce problème sera toujours celui de l’homme, en effet ; et sa pensée se définira toujours en un certain sens comme un "humanisme", une enquête homocentrique. On peut bien se demander alors si Saint-Martin ne reste pas par là l’enfant de son siècle auquel on l’oppose si facilement et si volontiers. Ame religieuse, élevé chrétiennement, il passera cependant la plus grande partie de sa vie en dehors de la stricte tradition chrétienne, il ne la connaît pas d' abord comme sienne et il aura un effort à faire pour retrouver celui qu’il appellera "le réparateur" ; primitivement, il ne pense pas le monde et l’histoire de l’homme à travers Jésus-Christ. Ainsi ce mystique aura beau s’opposer au siècle des philosophes et des matérialistes : il en reste peut-être tributaire, dans la mesure où l’atmosphère intellectuelle de ses années de formation l’a détourné de la tradition religieuse officielle pour le jeter à la recherche d’une tradition religieuse occulte.


Son éloignement du christianisme fut même assez profond un temps, pour le faire souffrir : il a parlé des "secousses de néant" qu’il connaissait vers cette époque. Si l’âme de Saint Martin est en quelque sorte constitutionnellement religieuse, cela n’implique pas un passage sans heurts de la piété des bons pères de Pont-Levoy à celle dans laquelle nous l’allons voir verser. Il y eut vraisemblablement une période où; détaché du christianisme, il n’était cependant pas encore initié à la religion ésotérique; ou il acceptait, non sans en souffrir, une philosophie à la mode du temps, qui n’était guère favorable à "l’infâme". Il passa presque toute sa vie, ne l’oublions pas, en marge des sacrements chrétiens, et en faisant profession d’anticléricalisme. (28)
Au temps où nous sommes, il devient donc officier. Choiseul, qui était le voisin et le protecteur de sa famille, obtient pour lui en juillet 1765 un brevet de sous-lieutenant de grenadiers au régiment de Foix, en garnison à Bordeaux. (29) On était en temps de paix, le jeune officier aurait la possibilité chaque année de passer son quartier d’hiver à peu près à sa guise, et en tout temps, il disposait de vastes loisirs pour ses méditations personnelles. Il passa ainsi six ans sous les armes, de 1765 à 1771, comme sous-lieutenant d' abord, puis à partir du 23 juillet 1769, comme lieutenant. Ce que nous pressentons de son caractère et de ses aspirations, sa tendresse, sa nature volontiers sentimentale et spéculative, tout cela l’éloigne sans doute de l’idée que nous faisons de la vie des camps et des garnisons : "on ne pouvait être moins propre à l' état militaire" dit Sainte-Beuve (30). Il se trompe cependant, à en juger par les notes d’inspection du régiment de Foix publiées par M.Van Rijnberk : Saint-Martin est considéré comme un "excellent sujet à tous égards", comme un "très bon sujet" (31). Il accomplissait sans doute sa tâche quotidienne avec conscience et scrupule, avec droiture : et elle lui laissait la liberté de s’occuper de tâches moins humbles...Jeune officier en quête d’une idéale règle de vie et peu capable de se forger lui même, il est une proie désignée pour le premier convertisseur qui saura s’imposer à lui...
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2 : RENCONTRE AVEC LA FRANC-MAÇONNERIE




Le régiment de Foix, comme un grand nombre de régiments du temps, avait un temple maçonnique, auquel se rattachèrent même un moment, si l’on en croit une lettre de Grainville de 1768, vingt-cinq officiers et plus (32). Ce Grainville, alors capitaine de grenadiers, officier de carrière, de quinze ans plus âgé que Saint-Martin remarqua le nouveau sous-lieutenant, et s’en fit le premier guide : "C’était en 1765, quelques jours après mon arrivée dans le régiment : je n’étais pas très jeune (22 ans;-), il me distingua entre mes camarades et vint à moi sur la place du Chateau-Trompette. Il me fit quelques questions auxquelles je répondis de mon mieux selon les faibles connaissances que j’avais ; il fut content néanmoins, et dans peu de jours, on m’ouvrit toutes les portes que je pouvais désirer." (33). A vrai dire pendant quelques années les portes ne furent qu'entr'ouvertes : mais il ne parait pas douteux que dès cette époque, Saint-Martin ait fréquenté le milieu maçonnique et martinéziste, même s’il n’a pas à proprement fait partie de l' Ordre des Coens avant le mois d’Octobre 1768.(34) Il se trouve installé par là au coeur d' une des plus curieuses entreprises spirituelles de son siècle.
Qu’était-ce que la maçonnerie ? D' où venait-elle ?
Nous n' avons pas à nous intéresser spécialement ici à ses origines historiques, ni à rechercher comment au début du XVIIIè siècle anglais, sur les associations corporatives de ceux qui construisaient les maisons, se greffèrent les associations spéculatives de ceux qui voulaient reconstruire la société. Mais il est essentiel, si l’on veut comprendre la position de Saint-Martin dans le courant intellectuel de son siècle, d’élucider autant qu’il se peut, la position dans ce courant de la franc-maçonnerie elle même.

Il est certain qu’en plusieurs lieux et en plusieurs époques, avant le XVIIIè siècle, il a existé des sociétés de pensée, des réunions d’hommes résolus à rester en marge de l' orthodoxie de leur milieu pour mettre en commun leurs vues indépendantes sur la politique, la philosophie ou la religion. On rapprochera ainsi la maçonnerie des religions à mystères de l’Antiquité (35) ; de certaines Académies Italiennes de la fin du Moyen-âge et de la Renaissance (36) ; des réunions de protestants traqués au temps de la guerre de trente ans (37). Mais entre ces différents groupements et la franc-maçonnerie, il reste totalement impossible d’établir une filiation historique, et les rapprochements de ce genre sont peut-être aussi vains que ceux que tentent les légendes maçonniques elles-mêmes avec les constructeurs du Temple de Jérusalem ou avec l’ordre des Templiers de Jacques de Molay. Il semble que les sociétés de pensée que l’on rapproche ainsi de la franc-maçonnerie restèrent, en tout cas, sporadiques ou de rayonnements assez limité très éloignées de constituer même l’amorce d’une grande puissance internationale. En Angleterre et en Ecosse, on trouve dès le XVè siècle des traces fugitives de groupements qui ne sont déjà plus de simples groupements corporatifs de maçons (38). Mais en bref, la mutation définitive de la maçonnerie opérative en maçonnerie spéculative peut encore être datée sans fausser la perspective historique du 24 Juin 1717, jour où quatre loges londoniennes s' assemblèrent pour former une Grande Loge présidée par un Grand-maître et deux grands surveillants. L’apport doctrinal de toute la période précédente est presque complètement nul : l’esprit maçonnique ne préexiste pas en quelque sorte à la fondation de la Grande Loge.
Pourquoi celle-ci se produisit-elle ? On en est encore aux conjectures. L’idée germa probablement dans quelques esprits d’organiser en une puissance unique les ébauches éparses de sociétés secrètes pour mettre cette puissance au service des éléments de la population attachés à la morale traditionnelle et hostiles à la licence des moeurs de l’époque (39). Certes, la formule de M. Le Forestier : que la franc-maçonnerie est la fille naturelle, sinon légitime, du protestantisme (40) est dangereuse en ce qu’elle n’exprime qu’un aspect de l’histoire maçonnique : mais il reste que les hommes qui jouèrent les rôles les plus importants dans la constitution de l’idéologie maçonnique primitive étaient des pasteurs : James Anderson et Jean Théophile Desaguliers. La charte maçonnique essentielle (41) fut élaborée, sur l’ordre des premiers grands maîtres grands seigneurs, par Anderson, qui développa surtout semble-t-il, la partie historique en en faisant un véritable traité d’histoire de l’architecture, et par Desaguliers qui fut le grand inspirateur de l’esprit maçonnique. Et cet esprit correspond non pas à celui d’une religion chrétienne, mais à celui d’une religion naturelle.


Pasteur Huguenot, descendant d’une famille réfugiée en Angleterre après la révolution de l' Edit de Nantes, Desaguliers est un esprit curieux : non pas savant lui même, mais vulgarisateur très au courant des mouvements scientifiques de son époque : en juillet 1714, il est élu membre associé de la Société Royale des Sciences de Londres et choisi pour être le manipulateur de la société (42) ; il est l’ami de son président, - et ce président, c’est Newton. La physique que Desaguliers expose dans ses livres et dans ses cours, avec beaucoup de succès et de succès mondain, c’est celle de son illustre ami. Personnage influent de la Grande Loge d' Angleterre naissante, Desaguliers assure la liaison entre le milieu maçonnique d' abord modeste, et la grande noblesse hanovrienne.; il apporte à la maçonnerie ses relations et ses idées, qui sont plus d' un newtonien que d' un pasteur. Le système newtonien est l’épure de l’univers : il reste à Dieu d’être le grand architecte qui a fait passer cette épure dans les choses. Le monde s’explique par l’ordre mécanique : le besoin que l’on peut sentir ensuite d’expliquer cet ordre par Dieu est plus ou moins urgent selon le tempérament de chacun, et il ira bien vite s’affaiblissant (43). Le Dieu de Desaguliers est nécessaire au titre scientifique, et point du tout au titre de la révélation : préfaçant la traduction anglaise tronquée du "Philosophe Religieux" de Niewenhuit, Desaguliers écrit froidement : "je pense que je peux dire de cette traduction qu' elle a chance de faire encore plus de bien que l' original, parce que en nous donnant ici cette défense de la religion naturelle, vous avez omis la défense de la religion révélée, dont la faiblesse aurait pu donner une occasion de triompher aux libres penseurs que va confondre la force de votre argumentation en faveur de la religion naturelle. " (44). Et, ce qui nous importe surtout, c' est que le même esprit se retrouve dans le texte des Constitutions Maçonniques de 1723: "But though in ancient times, Masons were charged in every Country to be of the Religion of that Country or Nation, whatever it was, yet 'tis now though more expedient only to oblige them to that Religion in which all Men agree, leaving their particular opinion to themselves..."(45)


Et cette religion sur laquelle tous les hommes sont d' accord consiste à être bons, sincères, modestes et gens d’honneur. L’article à peu près unique du credo des maçons, c’est donc le déisme, le déisme de la religion naturelle - et lorsque la fameuse loge des Neuf Soeurs organisera une sorte de triomphe pour le vieux Voltaire, elle rendra en somme hommage à un représentant très caractéristique de la primitive religion maçonnique (elle sera moins logique avec Voltaire, sinon avec elle même, lorsque à sa mort, elle fera célébrer pour lui un service funèbre solennel). Les idées de la maçonnerie doivent être rattachées à tout le courant en faveur de la religion naturelle de la première moitié du XVIIIè siècle. Faut-il citer les noms de Tollan, de Thomas Chubb, ou le titre du livre de Tindal : "Le Christianisme aussi ancien que la création, ou l’Evangile comme un renouvellement de la religion naturelle" ? (46) Rapprochement de l’Evangile et de la loi naturelle que nous avons connu déjà chez Abbadie. Le naturel : le mot revient à chaque instant, chez Abbadie, chez Burlamaqui, dans la maçonnerie ; et il se retrouvera également dans le titre du second ouvrage de Saint-Martin, lui-même (47) Si différents que soient le contenu de ce livre et ceux des précédents, le rapprochement paraît cependant plus nécessaire qu' un rapprochement de mots : au départ encore une fois, et fille de son siècle, la pensée de Saint-Martin gravite autour de l' homme de la Nature et non de l' homme de la révélation. Si les progrès de Saint-Martin dans le milieu maçonnique paraissent si lents qu’entre son accointance avec Grainville et son initiation martinésiste, il s’écoule plus de trois années, cela tient peut-être à ce que le jeune homme trouva d' abord dans l’inspiration déiste et rationaliste des premiers grades de la maçonnerie "bleue", une manière de penser le monde qui ne violentait pas trop son esprit encore convalescent de ses "secousses de néant". " Leaving his particular opinion to himself", il a pu sans trahison, sans déchirement intérieur s’en tenir d' abord à cette religion de tous les hommes.
Quant à la maçonnerie, en réduisant son credo au déisme, elle s’ouvrait évidemment une vaste carrière. Elle pouvait espérer désormais essaimer non seulement au dessus des frontières politiques, mais encore au-dessus des frontières confessionnelles. Elle pouvait espérer sur le programme religieux minimum qu'elle adoptait, opérer un rassemblement international des forces morales traditionalistes. Il devait paraître clair à nombre d’esprits devant l’état des moeurs en Angleterre ou en France dans la première moitié du XVIIIè siècle, que la force sociale des religions révélées était désormais à peu près épuisée. C’était alors une ambition bien tentante pour mettre un frein à la licence dans les moeurs et dans les idées, de fonder une nouvelle organisation qui s’appuierait non plus sur une religion révélée, mais sur une religion naturelle, bénéficiant elle-même quelque peu de l' éclat réfléchi de la science newtonienne.
Immense ambition. Qu’en reste-t-il dans la maçonnerie avec laquelle Saint-Martin entre d' abord en contact ? C' est une maçonnerie active : dans l' armée d' abord, car l' armée française parait avoir été au même titre que l' armée anglaise, un agent actif de propagande maçonnique (48) ; et ensuite dans la région même où Saint-Martin rejoint son régiment. La loge " l’Anglaise" de Bordeaux, fondée en 1732 est la seconde loge française reconnue par l’Etat gravé de la Grande Loge d' Angleterre ; en vingt ans, de 1740 à 1760, elle avait créé une dizaine d’ateliers (49) et l’on trouvait aussi des loges maçonniques dans de très petites villes de la région comme Blaye, Pauillac, Libourne, etc. (50). Mais que se passe-t-il dans ces loges ? il ne s' y passe a peu près rien. La maçonnerie française est, à l’époque qui nous intéresse en pleine période d’élaboration administrative ; le Grand Orient est encore en gestation. Quant aux préoccupations doctrinales elles sont pratiquement inexistantes : "il' n’est pas possible de déduire des pièces ... retrouvées la moindre activité de pensée" écrit un auteur dont toutes les sympathies sont acquises à la maçonnerie bleue ; "les documents versés jusqu' ici aux débats ne sont certes pas favorables à l’idée d’une activité philosophique interne." (51). Quelques années plus tard encore, lorsque la tentative d’unification administrative sera plus avancée et que notre auteur croira pouvoir parler des "idées philosophiques de la maçonnerie régénérée" (52), ce sera encore pour en reconnaître la "simplicité" assez pauvre".

Gardons nous de faire comme ces mouchards du Temps de l'Ordre Moral qui croyaient que dans les Loges on se taisait à cause de leur présence "alors qu’il semble bien que le plus souvent le silence n' était dû qu' à ce fait... qu' on n' avait rien à dire. " (53). En réalité pendant la plus grande partie du XVIIIè siècle et dans le plus grand nombre de loges maçonniques on s’est réuni sans avoir rien à se dire. La maçonnerie est une camaraderie ( une fraternité ) cimentée par le secret, le mystère des initiations, mais qui s' exprime dans les loges de la façon la plus simple et la plus naturelle par des fêtes, par des banquets, par des beuveries - le tout arrosé bien sûr de la sauce philosophique de quelques toasts, de quelques discours, de quelques invocations au "Grand Géomètre", à "l' Ineffable Architecte" : encore pendant longtemps dans les loges françaises cette philosophie sera-t-elle, non le strict déisme mais le fruit d' un compromis sentimental plein de respect pour la religion et les livres saints: ce qui explique et justifie la présence dans leur sein de nombreux prêtres (54). La Loge n’est pas un cénacle philosophique ou un foyer de conspiration, mais un cercle. On y fait de la musique, on y joue la comédie, on y chante :

Non, rien n’est comparable
Aux solides plaisirs
Dont les Maçons à table
Remplissent leurs désirs... (55)

Ou encore :

Honni celui qui ne boira
Et qui ne maçonne, çonne, çonne,
Honni celui qui ne boira
Et qui ne maçonnera. (56)

Enfin, l’on fait la quête, on s’occupe de bienfaisance et de charité ; généralement deux fois l’an, à la Saint-Jean d’été et à la Saint-Jean d’hiver, on célèbre une grande fête avec messe solennelle, procession, banquet, et (57).

Bref, la maçonnerie bleue, avec ses grades simples d’apprenti, de compagnon et de maître, se présente comme une vaste société de camaraderie qui, sous le couvert d’un demi mystère et d’un rituel mélodramatique (dont le sens reste secret pour presque tous les maçons, si même il y en a un) professe un déisme assez anodin et un humanitarisme sentimental et bienfaisant. Et on comprend la page vigoureuse que Joseph de Maistre écrivait en 1782 au début de son mémoire au duc de Brunswick.: il n’est pas de maçon un peu capable de réflexion, dit-il, qui ne se pose certaines questions : " Quelle est l’origine de ces mystères qui ne couvrent rien, de ces types qui ne représentent rien ? Quoi ! Des hommes de tous les pays s’assemblent. ( peut-être depuis plusieurs siècles) pour se ranger sur deux lignes, jurer de ne jamais révéler un secret qui n' existe pas, porter la main droite à l' épaule gauche, la ramener vers la droite, se mettre à table ? . Ne peut-on extravaguer, manger et boire avec excès, sans parler d' Hiram, du temple de Salomon et de l' Etoile Flamboyante ? Etc. " (58)
Si l’on compare l' ambition maçonnique de refaire une unité morale européenne, voire de refaire une catholicité, que nous définissions à propos de la maçonnerie anglaise des années 1720-1730, et l' état moyen des esprits dans les loges françaises des années 1760-1770, on a bien l' impression d' un échec. Le programme minimum formulé par Anderson et Desaguliers ne donnait qu’une base trop restreinte à la fraternité humaine ; c’était une pierre trop étroite pour que l’on pût construire sur elle l' Eglise des Temps nouveaux. On ne demandait au maçon pour l’admettre dans la société que de faire une profession de déisme (sur laquelle on l’inquiétait peu) et de fournir un certificat de bonne vie et moeurs ; on ne se montra rigoureux ni sur l’un ni sur l’autre chapitre. La nature même du déisme que l’on professait obligeait à laisser dans certain vague celle des exigences morales : l’indétermination de Dieu entraîne une indétermination de l’homme et de ses devoirs envers la divinité, et à cela peut-être, un Saint-Martin devait être assez péniblement sensible. Dans ce déisme, selon le mot de Fénelon, " On admire Dieu sans le craindre et on vit sans remords au gré de ses passions" (59). Le Grand Architecte n’est pas un Grand Juge; en vertu de son origine scientifique, ou parascientifique, il reste en dehors de la morale, il se situe en dehors de l’ordre du péché : le péché est de la religion révélée et, l’on ne veut penser Dieu et l’homme que dans les termes de la religion naturelle. Il se trouve que ceux-ci restent vagues et peu consistants ; ils ne peuvent se fixer dans les esprits ni s’inscrire efficacement dans les moeurs. Et c’est alors le paradoxe de ce chapitre d’histoire maçonnique : le parfum trop indécis et trop subtil finit par n’être plus perceptible dans le flacon construit pour le conserver ; la Franc-maçonnerie possède une organisation, un rituel, mais elle ne possède plus de dogme. C’est une église, avec sa liturgie, mais une église sans religion.

Or, à la même époque, la même société européenne connaissait un engouement sans bornes pour une religion sans église - L’illuminisme sous ses diverses formes. L’effort de recréation d’unité spirituelle et morale dont nous venons de voir l’échec dans la maçonnerie bleue va alors prendre la forme de tentatives d’union entre l’église sans religion et la religion sans église : ce sera avec les variantes le programme de la maçonnerie écossaise, de Martines de Pasqually, de Willermoz, appuyé sur les écrits de Saint-Martin ; enfin de Joseph de Maistre...
L’indigence du schéma maçonnique avait été assez vite reconnue. En France, à coté des loges importées d' Angleterre, il existait, et même antérieurement à celles-ci, en particulier dans les cercles des exilés écossais, une maçonnerie un peu différente, et plus accessible peut-être à des influences catholiques. Dans la mesure où la maçonnerie voulait être une force de réaction contre la licence du temps, il devint bientôt assez clair qu’elle ne remplissait pas tout son rôle. L’idée mère de la création maçonnique, qui est en somme de réintroduire dans la société du XVIIIè siècle, pour la régénérer, un ferment religieux, pouvait donc être reprise. Mettre au service des grandes idées du siècle, de la vérité une force sociale secrète et agissante, rénover un monde vieilli en le pénétrant tout entier de l’action d’une Eglise qui, étant au service de toute la vérité, sera aussi et enfin vraiment catholique, ce projet hantera plus d’une tête. Et d' abord celle d’un homme issu peut-être des milieux maçonniques écossais de Saint-Germain, celle du chevalier Ramsay (60)
Nous connaissons fort mal sa vie. Vers 1709, âgé de vingt-cinq ans, il se convertit au catholicisme (depuis quelque temps déjà son anglicanisme avait fait place à l’indifférence) et s’installe à Cambrai auprès de Fénelon. Il nous a laissé le récit de ses entretiens avec ce dernier (61), et l’on voit que le grand progrès que Fénelon fit accomplir à son catéchumène est le passage de la religion naturelle, à laquelle il inclinait, au christianisme, "Loi sainte qui purifie le coeur, sagesse mystérieuse qui dompte l’esprit" (62)

Il est probable, encore que dans ces entretiens Fénelon parle avec une noble sévérité de ses écrits sur la doctrine du pur amour, que le catholicisme du jeune homme au coeur tendre qu’était Ramsay s’imprégna un peu des idées de Madame Guyon. Après la mort de son protecteur, Ramsay fréquenta la meilleure société franco-anglaise de la Régence et des premières années de Louis XV. Son ambition lorsque il en viendra à s’occuper de la maçonnerie sera d’unir la force maçonnique et la force de la noblesse, et d’intéresser le gouvernement du roi et du cardinal de Fleury à cette entreprise. Quant au rôle et à la nature de cette maçonnerie, il s’en explique dans son discours de 1737, qui est, avec les constitutions de 1723, le texte capital de la maçonnerie du XVIIIè siècle. Ramsay reste presque constamment dans des formules assez souples pour n’écarter aucun maçon déiste ; il ne dépasse guère dans la partie doctrinale le programme du déisme philanthropique et de la fraternité universelle : mais on relève cependant des formules qui sont du converti de Fénelon : notre institut contient, dit-il, " toute la philosophie des sentiments et toute la théologie du coeur" ; et les maçons sont les "fidèles adorateurs du Dieu de l’amitié" (63). Surtout Ramsay décerne à la maçonnerie des lettres de noblesse apocryphes ; il laisse entendre qu’il faut en chercher les origines dans une organisation chevaleresque contemporaine des croisades.
La tentative de Ramsay n’a pas de fruits apparents immédiats ; il meurt en 1743 sans que son projet de maçonnerie monarchiste et déjà teintée de mysticisme ait rencontré l’approbation ni de Fleury, ni d’un grand nombre d’adhérents. Un peu plus tard la partie de ce discours où il préconisait des réformes administratives, comme la création d’une grande maîtrise, reçoit un commencement d’exécution. Mais surtout la généalogie fantaisiste qu’il a donnée à la maçonnerie va prendre des développements proprement extravagants. La maçonnerie se crée des ancêtres, elle se découvre une filiation précise avec par exemple l’architecte du Temple de Jérusalem ; ou encore avec l’ordre des Templiers et de son grand-maître Jacques de Molay ; elle se donne pour tâche de venger à travers les siècles la mort d' Hiram ou celle de Molay.

Elle accumule les billevesées et les contresens historiques ; son rituel, beaucoup plus que sa doctrine, se charge de pseudo traditions variées, et par contrecoup, sa hiérarchie se complique indéfiniment, se nuance selon la plus ou moins grande partie du secret de ces traditions que l’on divulgue aux initiés. Mascarade à peu près inextricable : Maître Elu des Neuf, Illustre Elu des Quinze, Sublime Chevalier Elu, Chevalier de Royal Arche, Prince de Jérusalem, Chevalier d' Orient et d’Occident, Souverain Prince Rose-croix, Prince du Liban, Chevalier Royale Hache, etc., ce sont quelques uns des vingt-cinq grades du rite ancien et accepté (64). Et les rites sont légion, indépendants les uns des autres, jungle nobiliaire où il est vain de s’aventurer. La distinction de la maçonnerie bleue et de la maçonnerie écossaise est loin d’être toujours tranchée ; souvent les trois grades inférieurs sont les trois grades bleus. Les hauts grades constituent une superstructure dont la naissance s’explique sans doute en partie par un phénomène analogue à celui du " principe de majoration " dont on nous a parlé à propos de l’évolution des dogmes, en partie par le désir des maçons nobles de se conserver à l’occasion un certain ordre de supériorité sur le commun des maçons. D' ailleurs inversement, les maçons du commun se précipitèrent goulûment quand ils le purent sur ces grades qui leur procuraient un anoblissement de pacotille. Assez tôt, la maçonnerie bleue renonça à réagir contre le foisonnement des hauts grades ; elle cherchera à faire l’unité par les grades bleus sans condamner les excroissances : mais la réduction ne sera jamais complète.
Dans l’orientation doctrinale de la maçonnerie, quels changements sont apportés par la maçonnerie écossaise ? Il faut souligner surtout la complication croissante, à la faveur des légendes d’origine, du rituel maçonnique. Celui-ci venait peut-être à l’origine et pour une faible part, de l’ancienne maçonnerie corporative : puis il a été un élément de communion, un ciment de l’association maçonnique lui permettant de s’étendre indépendamment de la variété des langues, "langage tantôt muet et tantôt très éloquent pour se communiquer à la plus grande distance et pour reconnaître ses confrères de quelles langues et de quels pays qu’ils soient" (65). Cette espèce de liturgie de la fraternité maçonnique pouvait voiler aussi...

Cette espèce de liturgie de la fraternité maçonnique pouvait voiler aussi la lumière un peu crue du déisme de la religion naturelle, restituer un aliment à un vague besoin de mysticisme ou plus simplement encore de mystère. Aux yeux de maçons supérieurs comme de Maistre, elle était un très important facteur de cohésion :
" il n' est pas concevable à quel point les forces et l' appareil des cérémonies frappent les hommes les plus sages, leur en imposent et servent à les retenir dans l' ordre. On ne peut regarder autour de soi sans trouver des preuves de cette vérité. Chez les calvinistes, la mesquinerie au culte a porté un coup mortel à la religion." (66)
Or ce rituel le plus souvent apportait avec lui un esprit plus proche du catholicisme fénelonien de Ramsay que du déisme newtonien de Desaguliers; il évoquait avec insistance des personnages en marge de la Bible ou en marge de l’histoire chrétienne des Croisades ou de la fin des Templiers. Que l’on y joigne d’autres particularités : l’hommage rendu à Saint-Jean, l’ère maçonnique datée de 4000 ans avant Jésus-Christ, et l’on voit s' ébaucher, même si officiellement la pure doctrine est toujours celle d' Anderson ou de la lettre du discours de Ramsay, les traits d' une physionomie spirituelle fort différente. Tout cela ne signifie peut-être rien, mais cela accoutume les maçons à se considérer comme les dépositaires de traditions très anciennes et très mystérieuses. Sans vouloir insister sur la formule que nous employons plus haut, on pourrait dire cependant que la maçonnerie écossaise est toujours une église sans religion, mais que sa liturgie hypertrophiée est grosse de possibilités. Dans un grand nombre de loges, peu à peu, la religion maçonnique naturelle et raisonnable de Desaguliers est recouverte par les développements mystiques et déraisonnables du rituel. Et l' on en arrivera enfin au terme de cette évolution à demander à la maçonnerie non plus un culte de l' Etre Suprême qui consiste presque uniquement dans l' observation de la loi morale, mais au contraire une sorte de technique de vulgarisation de l' expérience mystique. Les loges devinrent un milieu d’élection pour les prophètes en mal de fidèles : et quel siècle fut plus fertile en prophètes. A la faveur de l’anarchie des hauts grades de l' écossisme, on vit se glisser dans la maçonnerie des hiérarchie nouvelles, fondées non plus sur de pures légendes , mais sur la parole et l' autorité de certains maîtres, illuminés sincères ou escrocs ; ainsi de Cagliostro et de son rite égyptien. La maçonnerie est victime de deux allures mystérieuses qu’elle affectait : tous les mystères y font leur nid, toutes les crédulités y cherchent pâture. (67)
Et les loges que Louis-Claude de Saint-Martin fréquente à Bordeaux pendant qu' il est dans l' armée et même plus tard sont ainsi soumises à la puissante influence d' un de ces prophètes : Monsieur Martines de Pasqually...


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NOTES

(1)Sainte-Beuve,Lundi X,page238. (2)Matter,Saint-Martin,1. (3) Cité in Moreau, le philosophe inconnu, p. 8
(8) Abbadie, op., cit. 67.
(9) Ibid 263.
(10) Ibid.136.
(11) Ibid.132
(12) Ibid 219
(13) Ibid 122
(14) Ibid 82. Cf toute l' argumentation de ce chapitre (1, 3)
(15) Cité dans Moreau, op. cit..162, note 2
(16) Sainte-Beuve, ouv. Cit., 239.
(17) Saint-Martin, "Le cimetière d’Amboise", éd. Chacornac p. 2
Tous les renvois à ce texte s’entendront de cette édition.
(18) Burlamaqui, Principes...2
(19) Ibid.30
(20) Ibid.32
(21) Ibid.49
(22) Ibid. 90
(23) Ibid. 112
(24) Ibid. 142
(25) Ibid. 179
(26) Edition. Edimbourg, 1782, p.264
(27) Burlamaqui, op.cit.191-192. (28). Cf. le texte sur ces "secousses de néant" et une médiocre discussion dans Matter "Saint-Martin", p.168-169.
(29) Sur les motifs de la détermination de Saint-Martin, cf. Sainte-Beuve, op.cit. 242-243 ; Matter, op.cit.8 ; sur la date, G. Van Rijnberk " Martines de Pasqually" p.179 ; Papus ("Saint-Martin", p.7) conteste que le régiment de Foix tint garnison à Bordeaux, en invoquant des lettres de Martines de 1768. Il fait sans doute preuve ici de sa légèreté coutumière. Les lettres de Martines signifient au plus, que le régiment de Foix n’était pas à Bordeaux en 1768 ; mais il pouvait y avoir été en 1765. Matter place d' ailleurs un changement de garnison pour Lorient et Longwy en 1768 (op.cit.32). Ce qui parait confirmé par la manière dont sont datées les lettres de Grainville, officier au même régiment que Saint-Martin, à Willermoz, publiées dans Van Rijnnberk, p.144-160. Au surplus, le texte de Saint-Martin cité par Sainte-Beuve, p.243, dont nous ferons usage plus bas nous parait décisif. Grainville aborde Saint-Martin "quelques jours après mon arrivée dans le régiment...sur la place du Chateau-Trompette.
(30) Sainte-Beuve, op.cit. 247
(31) Van Rijnberk, ouv .cité. p.179. (32). Van Rijnberk, op.cit.146.CF. sur les loges militaires, Gaston-Martin, " Manuel..."p.116-118.
(33) Cité dans Sainte-Beuve p.243.
(34) M.Van Rijnberk (p.22, 23,29) déclare que c’est en 1768...seulement que L.C. de Saint-Martin fut présenté à Martines de Pasqually. Position qui parait peu défendable en raison d' abord du texte que nous venons de citer ; comment admettre que Grainville, qui lui ouvre toutes les portes, ait mis trois ans à présenter le jeune officier au maître de l'ordre ? . Au surplus, M. Van Rijnberk parait se fonder sur une lettre de Martines du 13 août 1768 publiée par Papus où on lit :" je vous fait part que M. de Saint-Martin m' écrit qu' il doit venir passer son quartier d' hiver ici, peut-être avec le T.P.Maître de Grainville ..." ( Papus, op.cit.7) Sans doute Martines appelle encore Saint-Martin, "Monsieur" : mais tout indique qu' il le connaît déjà (Saint-Martin lui écrit, il vient passer l' hiver près de lui), que son correspondant le connaît, etc. Et Saint-Martin sera enfin initié avant le 2 Octobre de cette année 1768 (Papus op.cit.) qui est précisément celle où son régiment vient de quitter la garnison de Bordeaux.

(35) Gaston Martin, Manuel à...p.4
(36) R. Le Forestier " Les plus secrets mystères "..."Introd.p.9
(37) Ibid.10-11.
(38) Gaston Martin, op.cit. 2ème édit.6-7. Cf. l' art. "Freemasonry in Encyclopédia Britannica".
(39) B.Fay - La Franc-Maçonnerie...p.63 et suiv.
(40) Les plus secrets mystères p.3
(41) A tel point que parlant des espérances maçonniques en 1932, M. Gaston Martin (p.268) s’écrie encore : « Revenons aux constitutions d' Anderson ».
(42) Fay, 98
(43) Cf. E. Bréhier, Histoire de la Philosophie, II, 315 ;
(44) Cité in B.Fay, op.cit.107
(45) Cité in Fay, op.cit. 173, cf. la traduction de la Tierce (1742) in Le Forestier " plus secrets mystères..." p.19.
(46) Cf. Brehier, op.cit. II, 324-329.
(47 Tableau NATUREL des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l’Univers.

(48) B. Fay, op.cit..122-123.
(49) Gaston Martin, ouv.cité 9, 46.
(50) D. Mornet- Les origines intellectuelles ...p 360.
(51) Gaston-Martin op.cit. 56-57.
(52) Ibid. 93
(53) Ibid.225
(54) Mornet, op.cit. 365- ; cf. aussi ibid.369.
(55) Le chansonnier des Francs-maçons p.31.
(56) Ibid. 14. cf. Pay. op.cit. 169
(57) Mornet Op.cit. Pensées françaises, 195-196
(58) J. de Maistre - La Franc Maçonnerie p.55
(59) Bréhier II, 323
(60) Sur Ramsay cf.B.Fay, op.cit. 172-181; Gaston-Martin P.27-31
Le Forestier " l’occultisme..." p.199-219.
(61) Réimprimé notamment dans les oeuvres de Fénélon, Paris, 1826, Tome III, p. 3-31
(62) Loc. cit. p.27.
(63) Discours. Texte in Gaston Martin, op.cit. 34.
(64) Le Forestier - Plus secrets...55.
(65) J. de Maistre - La Franc-maçonnerie p.87.
(66) J. de Maistre - La Franc-maçonnerie p.87.
(67) Sur ces questions, voir le livre de Le Forestier " l’occultisme et la Franc-maçonnerie Ecossaise ", plus riche d' ailleurs de renseignements de détail que de vues générale

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SOURCE



Livret de 38 pages au format A4, dactylographié, devant dater de 1937 ?
Titre : Louis-Claude de Saint-Martin

Note de l’inventeur, Claude Camille de Bruyères alias le pélican : « trouvé sur une brocante dans la Manche dans la région de Granville, au fonds d' une caisse en bois au milieu d' un stock important de vieux papiers sous une vieille porte de tabernacle en bronze repoussé avec pour motif un pélican ! J’ai acheté l’ensemble pour 40 euros, le bonheur quoi ! »



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TABLE DES MATIÉRES

Sujet de 1 à 19 :

- Bibliographie ....... ..........................................page 1 à 8
- Introduction....................................................page 9
1/ Les années de Jeunesse. Premières lectures.....page 10 à 20
2/ Rencontre avec la maçonnerie........................page 21 à 38




il y a une suite mais que je n’ai malheureusement pas :
3/ la captivité martinéziste...................................page 39 à 62
4/ DE la théurgie à la mystique :
a) Des Erreurs et de la Vérité...........................page 63 à 94
b) Echec de la maçonnerie..............................page 95 à 118
c) Le Tableau Naturel.....................................page 119 à 146
6/ Boehme ou la délivrance.................................page 147 à 174
7/ Les années de Sérénité...................................page 175 à 187
Conclusion .......................................................page 188 à 197