Louis-Claude de Saint-Martin, prophète de l’espérance
Quoique mort en 1803, celui-là appartient à mon domaine1, et je serais désolé qu’il m’échappât. C’est que les siècles, n’en déplaise aux fanatiques de la chronologie, n’ont pas tous nécessairement cent ans et leur première année ne se termine pas toujours par le chiffre un. À n’en pas douter, le XIXe siècle est né en 1789, avec la Révolution Française et l’Histoire contemporaine. Mais il y a d’autres raisons à mon choix, plus impératives. Ce grand homme est une des meilleures têtes philosophiques de chez nous. Et je n’entends pas par là un être à systèmes, échaffaudeur d’abstractions comme nous n’en avons jamais manqué en France, mais un penseur authentique qui creuse jusqu’aux réalités profondes, en pompe le suc nourricier, en écoute battre le coeur. En ce sens, il peut être comparé à Pascal et en certains points il l’égale.
Claude de Saint-Martin est une source. Il rassemble dans son creuset et concentre pour notre usage les filets souterrains d’une onde cachée qui nous vient des quatre horizons depuis l’origine du monde. La connaissance qu’il propage descend des principes et monte de l’observation des choses. Elle domine sans l’exclure la science moderne par l’amour, et lui redonne son sens en l’obligeant à garder sa place. Elle surmonte les philosophies par l’humilité : ne cherchant pas à fonder une vérité humaine, elle enseigne les voies qui conduisent à celle de Dieu.
Immense doctrine, dont notre héros n’est pas l’inventeur, mais le distributeur génial ; inspiration qui marque d’un signe incomparable le front de tous les mystiques : penseurs, artistes ou poètes et qui établit entre eux la secrète alliance des prédestinés. On en trouve ailleurs, chez Joseph de Maistre, Ballanche, Bonald ou Fabre d’Olivet des fragments présentés parfois d’une manière plus brillante mais jamais avec un sens plus complet et plus intime de l’unité.
Qu’une telle lumière ait pu être maintenue pendant deux siècles sous le boisseau, c’est une gageure, et l’une des preuves les plus convaincantes de l’extrême délabrement des âmes contemporaines ou du moins de leurs conducteurs patentés, radicalement imperméables à toute rosée qui vient d’en-haut. Claude de Saint-Martin, on peut le dire, s’est bien un peu prêté à cette ignorance du commun. Ce n’est pas un auteur badin et son genre d’« esprit » n’est pas celui de Voltaire. Il y a dans ses pages quelque chose d’escarpé qui tient à la nature du sujet, et une singularité de vocabulaire qui est à la fois coquetterie d’original et pudeur du croyant qui veut écarter du temple les regards frivoles.
Je ne sais ce qu’il faut penser des loges qui se réclament de son nom.
extrait d' un très bon article de Raymond CHRISTOFLOUR
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