Or, vers ce temps, une scène eut lieu, qu'il faudrait passer sous silence si des témoins graves ne l'avaient solennellement attestée[19] 1. Un dîner splendide ayant été offert par un académicien à beaucoup de gens de cour et de philosophes.
il se trouva parmi les convives un écrivain qui, destiné à combattre la Révolution et à y périr, comptait alors au nombre des illuminés-martinistes[20]2.
C'était Jacques Cazotte.
Le repas fut très-gai. On y parla des progrès de la raison, des événements qui s'annonçaient ; et chacun de saluer le règne prochain de l'intelligence affranchie. Seul, Cazotte gardait le silence.
Interrogé, il répondit qu'il apercevait dans l'avenir des choses terribles ; et, comme Condorcet le prenait sur un ton de raillerie :
« Vous, M. Condorcet, lui dit-il, vous vous empoisonnerez pour échapper au bourreau. »
Des rires joyeux se firent entendre. Cazotte continua :
il prédit à Chamfort qu'on le réduirait à se couper les veines ; à Bailly, à Malesherbes, à Roucher, qu'ils mourraient sur l'échafaud.
« Mais notre sexe du moins sera épargné ? » s'écria en riant la duchesse de Grammont :
« —Votre sexe ?... Vous, madame, et bien d'autres dames avec vous, vous serez conduites en charrette à la place des exécutions, les mains liées derrière le dos. em>
En parlant ainsi, Cazotte avait le visage altéré ; ses yeux bleus étaient remplis de tristesse: et ses soixante-huit ans, sa chevelure blanche, sa physionomie patriarcale imprimaient à ses paroles une gravité lugubre: les convives tressaillirent.
« Vous verrez, reprit madame de Grammont, qu'il ne me laissera pas un confesseur
— Non, madame. Le dernier supplicié qui en aura un, ce sera...»
Il hésita un instant.
« Ce sera... le roi de France. »
Saisis d'une invincible émotion, tous les convives se levèrent. Quant à Cazotte, il allait se retirer, lorsque, s'approchant de lui et voulant provoquer de moins sombres présages, madame de Grammont lui dit :
« Et vous, monsieur le prophète, quel sera votre [101] sort ? »
II resta quelque temps la tète penchée, le regard pensif, puis :
« Pendant le siège de Jérusalem, répondit-il, un homme fit sept jours de suite le tour des remparts, criant d'une voix sinistre : Malheur à Jérusalem ! Le septième jour, il cria :
Malheur à moi-même !
Et dans ce moment, une pierre énorme, lancée par les machines ennemies, l'atteignit, le mit en pièces.
A ces mots, Jacques Cazotte salua et sortit.
Source : texte extrait de "Histoire de la Révolution française" de Louis Jean Joseph Blanc - 1848
Sur la toile :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Cazotte
http://www.lisons.info/Cazotte-Jacques-auteur-536.php
http://www.bookine.net/cazottebiographie.htm
http://www.insecula.com/oeuvre/O0028502.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire