mercredi 27 août 2014
mardi 26 août 2014
Un nouveau numéro de "Renaissance Traditionnelle" (n°173-174)
Ce
n°173-174 de Renaissance Traditionnelle s’ouvre par un nouvel
épisode de la passionnante série de Jérôme Rousse-Lacordaire sur
Les métiers de Dieu. L’auteur remet en chantier la problématique
si féconde, ouverte il y a quelques décennies, par Jean Hani. Il
explore ici la figure de Dieu comme pêcheur. Sa lecture nous a remis
en mémoire une anecdote qui nous avait à l’époque marqué, ainsi
que les autres personnes qui avaient assisté à la scène. Nous
participions à un colloque à la Sorbonne sur les premiers concepts
de la théologie chrétienne. Un professeur éminent proposa une
communication très documentée fondée sur une analyse des notions
par lesquelles les premiers chrétiens exprimaient leurs idées du
péché, de la grâce, de l’espérance du salut, etc. L’orateur
manifestait une virtuosité intellectuelle et un talent didactique
qui faisaient l’admiration de l’assistance.
À l’issue de
l’exposé...suite sur http://www.renaissance-traditionnelle.com/
Pour info.: présentation d'u N° 172 par Pierre Mollier
*** Une pépite
suis en possession de l' ensemble de la collection, possibilité de l' acquérir auprès de la rédaction.
Claude Camille de Bruyères " Le Pélican"
Pour info.: présentation d'u N° 172 par Pierre Mollier
*** Une pépite
suis en possession de l' ensemble de la collection, possibilité de l' acquérir auprès de la rédaction.
Claude Camille de Bruyères " Le Pélican"
lundi 25 août 2014
En ligne les deux volets d'une table-ronde réunissant Jean-Marc Vivenza, Jean-Pierre Laurant et David Bisson :
Le Règne de la Quantité de René Guénon (1/2)
La crise du monde moderne, ouvrage visionnaire de René Guénon paru en 1927, dénonçait avec virulence cette épidémie galopante, d’autant plus redoutable qu’invisible, celle de l’état d’esprit moderne : une perte des repères spirituels, un engluement croissant dans le matérialisme, une confusion entre le temporel et le spirituel. Pour évoquer en image les choses: tant que le myope n’a pas été placé face à une paire de lunettes, il considère son infirmité comme une chose établie, et bientôt normale.
… et les Signes des Temps (2/2)
Ce deuxième volet est la suite du premier. "Depuis le XIIIème siècle, tous les remparts de notre civilisation sont attaqués : Métiers, Arts, Monnaie, Spiritualité" affirme René Guénon dans son ouvrage : le Règne de la Quantité et les Signes des Temps (Gallimard, 1945). Mais quelles sont les forces en présence ? Comment se mettent-elles à l’œuvre et qui en tient les "manettes" ? Voici la première question que pose David Bisson à nos deux intervenants…..
samedi 23 août 2014
Magnétisme animal, la sensation infinie
Que la doctrine de Mesmer et des mesmériens soit travaillée de tensions, de manœuvres d'évitement, de contradictions fécondes, qu'elle cherche simultanément à découvrir et à masquer, à innover et à protéger, que tour à tour elle verse le vin nouveau dans de vieilles outres et choisisse des habits neufs pour des idées anciennes, c'est ce dont on se persuade en observant la façon dont est déterminé le statut des phénomènes produits autour du fameux « baquet », puis dans le cadre du somnambulisme un singulier mouvement, qui n'est pas tant chronologique qu'idéal, interne à ces œuvres, se laisse alors entrevoir en dépit des mesmériens, mais sous leur plume, le mesmérisme devient autre chose que ce qu'il était. C'est ce mouvement qu'il vaut la peine d'essayer de retracer, en distinguant deux moments la relation de l'universel et du particulier, qui conduit à conférer au magnétiseur un rôle essentiel la question de la vérité, qui place la sensation en clé de voûte de l'édifice. Mesmer débute par l'idée d'un « système d'influences » entre tous les êtres de l'univers, et comprend la maladie comme la perturbation de l'équilibre entre l'individu et le Tout. C'est à en analyser les lois et à en déterminer l'importance quant à la distribution de la santé et de la maladie qu'est consacrée la Dissertatio physico-medica de planetarum influxu (1766), soutenue à Vienne devant Van Swieten 1. Il n'y est pas encore question du magnétisme animal, mais toutes les pierres sont posées pour la doctrine à venir. Les corps célestes agissent sur tous les corps de notre planète qui, à leur tour, réagissent sur eux 2. Cette force [108] universelle, qui est la cause de la gravitation, est donc aussi celle de tous les phénomènes corporels élasticité des solides, irritabilité des fibres, etc. elle « s'insinue » dans les organismes, et affecte particulièrement, électivement pourrait-on dire, le système nerveux et le sensorium. Comment s'étonner alors, demande Mesmer, « de l'éventualité d'un trouble généralisé de tout l'organisme » (p. 41) ? En 1766, avant que Mesmer ne soit encore tout à fait mesmérien, il nomme « gravité animale » cette force universelle 3. Si l'on se souvient qu'il définit le magnétisme animal, dans son Mémoire de 1779, comme « la propriété du corps animal qui le rend susceptible de l'influence des corps célestes et de l'action réciproque de ceux qui l'environnent » (p. 77), on conviendra qu'entre les prémisses de 1766 et la doctrine définitive, il n'y avait qu'un pas. La manière dont Mesmer le franchit mérite qu'on s'y arrête un instant. C'est en réfléchissant sur la périodicité d'une affection hystérique, accompagnée de tous les symptômes ordinaires convulsions, suffocations, paralysies, douleurs, qu'il conçoit l'idée de faire servir à la guérison d'une maladie itérative une force dont les effets sont alternatifs. La gravité animale, en effet, agit sur le corps humain comme une « marée », par un mouvement de flux et de reflux la coïncidence de certaines maladies comme l'épilepsie avec les phases de la lune, la périodicité de l'hystérie et de l'hypocondrie, fournissent des arguments de poids pour cette théorie des cycles (p. 41). Le thème était donc disponible pour son utilisation thérapeutique, et c'est en 1774, selon les dires de Mesmer dans une lettre à Unzer, que l'application devient effective. « Je m'occupai pendant tout ce temps à perfectionner ma théorie, et je parvins enfin à prévoir les rechutes, leurs progrès, leur durée et leur déclinaison. Je projetai à la fin d'établir dans son corps une espèce de marée artificielle, au moyen de l'aimant » (p. 50). La périodicité de la maladie est remplacée par celle, mieux réglée et bienfaisante, de la force universelle au rythme de la maladie, Mesmer substitue le rythme régulier de l'influence cosmique l'individu malade est ainsi replongé dans le mouvement bénéfique du Tout où sa maladie se résorbe comme d'elle-même. L'évacuation du mal, d'ailleurs, se fait conformément au modèle que Mesmer prescrit lorsqu'il ordonne la cure à l'alter[109]nance du flux et du reflux la douleur brûlante que ressent la malade, au moment de l'application des aimants, monte des pieds jusqu'aux os iliaques où elle rencontre une autre douleur qui descend vers elle pour remonter vers la tête Mesmer ne doute pas que ce « transport de douleur » (p. 51) ne constitue le prodrome d'une guérison définitive. Encore faut-il, entre la force universelle, anonyme, et l'individu malade, un intermédiaire efficace. En 1775, Mesmer confie ce soin à l'aimant. Mais il ne tarde pas à s'apercevoir que le pouvoir thérapeutique appartient moins à cette substance elle-même qu'aux manipulations dont s'accompagne son application (ibid.). Dès ce moment, il suppose que l'aimant n'agit pas sur les nerfs par une vertu spécifique, mais en mettant en œuvre une « matière magnétique » très subtile, analogue au fluide nerveux. Plus rien ne manque pour la doctrine achevée du magnétisme animal, telle qu'elle est exposée dans le Mémoire de 1779. Le fluide magnétique, « universellement répandu et continué de manière à ne souffrir aucun vide » sert désormais de milieu capable de propager toutes les influences entre les êtres de l'univers (p. 76). Il n'y a de maladie que si un organisme s'oppose à la libre circulation du fluide en lui, comme il n'y a de santé que par la restauration de l'échange harmonieux entre l'Univers et lui un corps malade est un corps séparé du Tout. Agent universel, le fluide magnétique assure l'entretien de la santé et la guérison de la maladie. Entre tant d'autres, relisons ce texte tiré du Mémoire de 1799 « les lois par lesquelles l'univers est gouverné sont les mêmes que celles qui règlent l'économie animale. La vie du monde n'est qu'une, et celle de l'homme individuel en est une particule » (p. 299). Le fluide magnétique est précisément ce qui unifie le macrocosme et le microcosme il est l'opérateur de cette unité dont la santé est le signe « Par cette expression "magnétisme animal", je désigne donc une de ces opérations universelles de la Nature, dont l'action, déterminée sur nos nerfs, offre à l'art un moyen universel de guérir et de préserver les hommes » (Précis historique, p. 93). Mais le lien entre ce nouvel avatar de la médecine universelle, dont le rêve hante durablement l'imagination des hommes, et les convulsions autour du baquet n'apparaîtra pas si l'on ne se souvient que, chez Mesmer, le dogme de la natura medicatrix se prolonge en celui de la crise tout symptôme est le signe d'un affrontement entre la nature et le mal cette lutte est la crise, et, sans elle, aucune guérison n'est possible « cette loi est si vraie et si générale, que d'après l'expérience et l'observation, la [110] plus légère pustule, le plus petit bouton sur la peau, ne se guérissent qu'après une crise » (Mémoire de 1799, p. 301). Malheureusement, toutes les crises n'opèrent pas la guérison la nature n'est pas toujours capable de dissiper l'obstacle où réside la maladie. C'est alors qu'intervient le magnétisme animal comme auxiliaire de la nature il s'agit de venir en aide à celle-ci en provoquant les crises salutaires, « de manière à s'en rendre maître » (Mémoire de 1779, p. 78). Tel est le statut que Mesmer et les mesmériens confèrent aux convulsions dont sont atteints les « crisiaques » elles sont le symptôme provoqué d'un paroxysme dans l'affrontement de la force régénératrice et de la maladie si la maladie résulte d'une négation interruption de la communication entre l'individu et le cosmos alors il faut dire que la crise est le moment où la négation se trouve niée. Le fluide magnétique est une force universelle, et l'homme malade est un individu. Peut-on se tenir quitte de toute espèce de médiation entre les deux ? Ne faut-il pas introduire, dans le procès de la guérison, cet autre individu qu'est le magnétiseur ? Mais son rôle est ambigu dès qu'on en admet la nécessité, l'on se trouve contraint de lui faire une plus belle part qu'on ne l'eût souhaité. Il est sûr, comme l'écrit J. Starobinski, que le rêve mesmérien est « un rêve de domination » 4 guérir, dans cette acception, c'est maîtriser le processus thérapeutique. Mais ce rêve, Mesmer voudrait l'accomplir dans une relation parfaitement impersonnelle il voudrait n'être que l'agent de transmission d'un pouvoir anonyme. Est-il possible d'en rester là ? Deslon, l'un des premiers médecins conquis par le mesmérisme, traduit bien cette difficulté. Citons-le « L'on s'exprime imparfaitement lorsqu'on dit que M. Mesmer guérit des maladies par la vue ou l'attouchement. Ici la vue et l'attouchement ne font rien par eux-mêmes ils sont de simples conducteurs du magnétisme animal. » 5. Rien d'hétérodoxe dans cette affirmation le magnétisme est en effet éminemment communicable Mesmer a pratiqué nombre d'« expériences » pour établir quelles substances, quels milieux, sont bons conducteurs les glaces le réfléchissent bien, le son le propage et l'augmente en revanche, certains corps (ils sont rares) font écran à sa bonne diffusion (Mesmer, p. 77-78). Dans cette opération conductrice, le magnétiseur est réduit à un simple [111] transmetteur à la limite, une machine pourrait le remplacer. Mais poursuivons la lecture du passage de Deslon « principe qui, selon toutes les apparences, existe dans la nature avec toutes ses propriétés, mais qui n'agit qu'à l'aide d'une direction particulière ». Le magnétiseur conduit le fluide. Mais en même temps il le rend actif tant qu'il n'est pas dirigé, particularisé, le magnétisme existe assurément mais il n'est pas complètement actif. D'instrument de transmission, le magnétiseur se mue en instrument d'amplification il fait passer le magnétisme potentiel et insuffisamment actif au niveau d'une force pleinement en acte, pleinement agissante. D'abord minimisé, le rôle du magnétiseur retrouve ainsi une importance primordiale. Assurément Mesmer tient à souligner l'antécédence et l'indépendance de la force naturelle, médicatrice, par rapport à l'intervention humaine « La génération se fait sans système, comme sans artifice. Comment la conservation serait-elle privée du même avantage ? » (p. 62) et ses disciples rousseauistes (Bergasse notamment) sauront donner à ce thème les accents qu'on devine la nature bienfaisante entretient en nous, sourdement mais certainement, l'harmonie sans laquelle il n'y a pas de santé demeurons dans le sein de la nature, épargnons-nous l'aliénation de l'histoire, et nous serons préservés de la plupart des maladies. Toutefois, peuvent-ils éviter le mouvement dialectique que nous avons décelé chez Mesmer ? Suivons encore Bergasse « nous n'appartenons presque plus à la nature », et, parce que nous en sommes séparés, il est impossible qu'il existe maintenant un seul organisme qui ne soit plus ou moins altéré 6. Le règne de l'histoire a remplacé le règne de la nature. Dans celui-ci, la force naturelle et spontanée d'organisation suffisait à préserver les hommes des maladies dans celui-là, elle n'y suffit plus la dénaturation dont ils se sont rendus coupables n'était pas incluse dans les plans de cette sagesse immémoriale la nature « n'a pu faire entrer dans son plan toutes les erreurs auxquelles notre volonté mal dirigée dans l'état social a pu donner lieu » (Mesmer, p. 65). L'histoire a défait la nature c'est à elle de défaire ce qu'elle a défait, et le magnétisme animal doit y servir pour des êtres aliénés, corrompus, il s'impose comme le seul remède capable de les conjoindre de nouveau au Tout. On comprend qu'en effet, le magnétiseur ait pour tâche de rendre actif le fluide sans cette activation, le magnétisme naturel serait maintenant inopérant. [112] Soit qu'il rende efficace un principe naturel insuffisamment actif, soit qu'il défasse ce que l'histoire a défait, le magnétiseur est l'indispensable médiateur entre l'universel et le particulier. « Système d'influences », le mesmérisme ? Sans doute mais s'il n'était que cela, il ne se distinguerait pas des autres doctrines magico-médicales auxquelles, d'ailleurs, les adversaires de Mesmer se sont efforcés de l'assimiler. Ori ici, l'accent porte finalement moins sur le Tout que sur le singulier ou plutôt, il se déplace insensiblement de l'un à l'autre, et probablement en dépit des mesmériens eux-mêmes. C'est ce mouvement qu'on observe, bien plus nettement encore, lorsqu'on prend en compte le mesmérisme non plus seulement comme théorie, mais comme théorie d'une pratique. Avant tout, dit Mesmer, le magnétisme animal est une pratique, et même « une pratique très délicate à développer » 7. Doppet, qui rédige un Traité théorique et pratique du magnétisme animal, assure que « la pratique peut seule nous conduire à l'intelligence de ce système » 8. Il est en cela parfaitement fidèle à la doctrine du maître. Mesmer « [le magnétisme] doit en premier lieu se transmettre par le sentiment. Le sentiment seul peut en rendre la théorie intelligible » (Précis historique, p. 103). De la théorie à la pratique, la conséquence n'est pas bonne le magnétisme animal doit être jugé par l'expérience de la cure. L'ordre inverse est trompeur, et c'est celui qu'ont suivi tous les adversaires. Il faut donc reprendre les choses au commencement et rappeler d'abord la définition du magnétisme animal c'est « la propriété du corps animal qui le rend susceptible de l'influence des corps célestes. » (Mémoire de 1779, p. 77). Laissons maintenant de côté la nature de cette influence et son origine. Le magnétisme animal exprime la capacité d'un organisme à subir les effets d'un influx mais cette capacité est-elle constante ? Mesmer est formel, dès 1775 « Dans tous les cas, j'ai vu que la sensibilité au magnétisme cessait aussitôt que le mal était guéri » (p 52). Puységur, l'inventeur du somnambulisme « magnétique », écrit de même « Quiconque est en état de santé parfaite ne doit point [113] être susceptible de l'influence magnétique » 9. En revanche, dans le cas contraire, la gamme des sensations produites par la magnétisation, est impressionnante douleur brûlante et déchirante (p. 51), chaleur inconnue dans les entrailles accompagnée d'une « transpiration de toutes les parties 10, « resserrement à la gorge », « soubresaut des hypocondres et de l'épigastre », « abattement », mais aussi « tressaillements ». Quiconque n'a point vu les convulsions au baquet, ne peut s'en faire une idée, affirment les Commissaires chargés de l'examen du magnétisme 11 on peut les croire. La sensibilité « magnétique » existe donc entre deux plages d'insensibilité celle qui précède la maladie et celle qui la suit. Hors de cette zone nettement délimitée, le magnétisme animal n'existe qu'à la manière d'une propriété inemployée. D'où vient que le magnétisme soit ordinairement imperceptible ? Suivons l'explication de Bergasse « Nos sensations ne doivent pas être confondues avec les impressions que produisent sur les organes de nos sens les objets qui nous environnent » (Considérations. p. 107). Les impressions sont innombrables, la sensation est à chaque instant unique. Parmi les impressions insensibles qui nous affectent, c'est la plus forte, c'est-à-dire celle qui intéresse davantage notre conservation, qui devient une sensation. Elle exprime alors « la différence de l'état où nous étions avant de l'avoir reçue, à l'état où nous sommes au moment où nous la recevons » (ibid. p. 108). D'où résulte cette loi de la perception « sentir n'est donc autre chose qu'éprouver toutes les différences d'être qui peuvent résulter pour nous de l'action des causes multipliées qui nous modifient ». On comprend alors que le magnétisme universel soit normalement insensible lorsque le corps qu'il affecte est en équilibre, il produit sur lui une impression unique et continuée qui n'a aucune chance de devenir sensible. L'entretien constant de la santé se fait sans que nous en ayons la moindre perception, en raison même de sa constance. En revanche, si l'équilibre cède au déséquilibre, l'harmonie à la dissonance, un conflit surgit d'où vont naître des sensations. Car, si le magnétisme universel continue d'agir dans le sens de l'équilibration, l'individu malade, quant à lui, tend à la désorgani[114]sation par les mouvements aberrants, désordonnés, qu'il imprime à son organisme. Assurément, nous sommes là en présence d'une doctrine dramatisée de la vie et de la mort, comme dans le cas du vitalisme. Mais on voit que Bergasse inverse résolument les rôles des protagonistes de ce drame au lieu de faire, comme les vitalistes, du principe interne l'élément de la réaction vitale, et des forces extérieures les agents destructeurs, il confère à l'individu la tendance à la désorganisation, et à l'universel la tendance inverse à la restauration des équilibres. De cet affrontement résulte la douleur, « et par la douleur, le Magnétisme universel [devient] sensible, de la même façon que toute autre force devient sensible quand elle rencontre une résistance » (p. 110). La sensibilité, et plus exactement la douleur, acquièrent ainsi un rôle dont on voit bien qu'il est tout à fait déterminant. La douleur est la « preuve physique » de l'existence du magnétisme, affirme Bergasse (p. 111). Même s'il y a, selon Mesmer, d'autres preuves, celle-là est en effet la plus décisive. Car le magnétisme n'existe pour nous qu'en tant que réalité sentie, éprouvée dans une conscience cénesthésique. Et cette preuve expérimentale s'accompagne d'un corollaire non moins important pour la pratique du magnétisme « les êtres malades sont donc les seuls sujets propres aux expériences qu'il faut faire pour parvenir à connaître » la réalité du magnétisme. La douleur révèle à la fois la maladie et l'agent universel des guérisons, l'obstacle en même temps que le moyen de le franchir. Le sujet malade est porteur d'une double vérité la sienne (c'est-à-dire sa maladie), et celle de tous, la réalité du magnétisme. Vérité théorique, le mesmérisme a sa condition de possibilité dans une sensation il faut qu'il soit vérité sensible pour parvenir à la lumière. Aussi est-ce par elle que la doctrine doit commencer. Puységur débute par ces mots le discours qu'il tient à la séance de fondation de la Société Harmonique des Amis Réunis de Strasbourg « les effets du magnétisme animal, Messieurs, sont absolument pour vous comme s'ils n'existaient pas vous ne pourriez regarder l'explication que je vous en ferais que comme le développement d'une illusion que bien certainement vous ne partageriez pas » 12. Puységur commence donc par ouvrir un cabinet où se rendront pendant quinze jours les néophytes et où ils feront l'expérience du magnétisme. Alors seulement ils seront capables de recevoir et de comprendre l'exposé théorique de la vérité. [115] La sensation comme témoin de la vérité ce thème va donner lieu à des développements considérables à partir de la découverte fortuite de l'hypnose ou « crise somnambulique ». Pour reprendre le mot d'un contemporain de Mesmer, « partisan zélé de la vérité », c'est un « vaste continent » que met au jour Puységur, en mai 1784, lorsqu'il produit les premiers cas de somnambulisme magnétique 13. Continent l'expression était bien choisie pour désigner le nouveau monde qui laisse entrevoir ses abîmes sous l'ancien et dont les magnétiseurs cherchent, les premiers, à dresser les cartes. Ce continent se manifeste par une extension des pouvoirs psychiques. Puységur, qui ne mène pas loin son effort de théorisation, note tout de suite que le somnambulisme se caractérise essentiellement par l'apparition d'un régime de la vie psychique si différent du régime ordinaire qu'on peut les regarder comme « deux existences différentes ». Mais l'une est plus vaste que l'autre, « l'état magnétique » englobe l'état ordinaire dans celui-ci, l'individu ne garde aucun souvenir de sa crise somnambulique au contraire, lorsqu'il est magnétisé, il se souvient fort bien de tous les détails de sa vie ordinaire. Surtout, pendant la durée de l'hypnose, le sujet est capable de « voir » l'intérieur de son corps, de déterminer le siège de la maladie qui l'affecte, d'en prévoir le cours et les accidents, et de prescrire les remèdes qui lui conviennent le malade s'est mué en son propre médecin, tandis que le médecin est maintenant à l'écoute du récit que le malade fait de sa maladie, de l'évolution qu'il en espère, des efforts qu'il accomplit la guérison est une tâche, un travail, dont le soin incombe au patient il est aidé par la relation qui s'établit entre le magnétiseur et lui, relation où se conjuguent « l'intérêt » que le médecin trouve en son malade et la « confiance » que celui-ci a en celui-là 14 sans la qualité de cette relation, sans une « analogie » entre les deux individus, la guérison est parfois impossible, en tous cas plus lente 15. Dans ce processus thérapeutique si insolite, si nouveau, c'est l'accroissement de la sensibilité qui explique l'amplification de la [116] conscience. Généralement soucieux d'éviter le facile recours au surnaturel si tentant en ce cas les magnétiseurs fondent l'autoscopie des somnambules sur le pouvoir d'un sixième sens ou « sens interne ». Spontanément, c'est dans la direction d'un sensualisme élargi par un nouvel instrument, que s'oriente l'explication de ces disciples vraiment lointains de Locke et de Condillac il est vrai que le sens interne de ces prudents interprètes ne demeurera pas longtemps à l'abri de commentaires plus audacieux. Puységur donne le ton de l'explication sensualiste puisque, en état magnétique, les somnambules ont d'autres idées, d'autres souvenirs, c'est qu'ils ont d'autres sensations. Puységur conçoit la fonction de ce sixième sens un peu à la manière dont Aristote entendait celle du « sens commun », pour rassembler et unifier les perceptions des cinq autres (Du magnétisme animal, p. 90). Beaucoup plus riche est l'analyse que fournit, en 1785, Tardy de Montravel dans son Essai sur la théorie du somnambulisme magnétique. Lui aussi parle d'un sens intérieur ou sixième sens. Mais il s'agit là de bien autre chose que ce qu'entendait Puységur. Le sixième sens de Tardy est un autre nom pour « l'âme matérielle » ou « instinct ». Il « réside » dans le système nerveux et plus particulièrement dans le plexus stomacal où se rassemblent tous les nerfs de l'organisme. Le sens intérieur est ainsi « au centre de la machine » 16 comment s'étonner qu'il soit aussi, en quelque sorte, au centre du monde ? Il jouit en effet d'un double privilège. D'une part, il est capable de recevoir directement les impressions extérieures, sans l'interaction des sens spécifiques ainsi le somnambule dont les yeux sont fermés peut voir sans que sa rétine soit impressionnée c'est par le sixième sens qu'il perçoit. Et sa perception est d'autant plus vive, d'autant plus distincte, que les sens sont éteints et que seule veille la sentinelle intérieure, affectée par des impressions que n'a pas altérées la médiation de l'organe récepteur et du nerf. Comme l'affirmera Mesmer dans son Mémoire de 1799, « dans l'état de sommeil [magnétique], l'homme sent ses rapports avec toute la Nature » (p.315). D'autre part le sixième sens fournit au somnambule une claire vision de l'intérieur de son corps. Ou plutôt il permet de voir l'organe malade, comme s'il était détaché sur le fond d'une [117] existence cénesthésique silencieuse. L'harmonie des impressions intérieures est imperceptible en revanche la dysharmonie qu'introduit la maladie ne manque pas d'être perçue par le crisiaque (Tardy de Montravel, p.52) appliquée à la théorie du somnambulisme, c'est là la doctrine officielle de Mesmer selon laquelle la maladie crée les conditions de possibilité de sa guérison. Investi de ce double privilège, le sens interne des somnambules s'offre à une vaste carrière. Saint-Martin, Willermoz, les cercles occultistes qui fleurissent en cette fin de siècle vont se jeter sur la découverte de Puységur et l'exploiter dans le sens d'une véritable gnose ; on commentera longuement, à Lyon et à Strasbourg, les « révélations » de telle somnambule dont la vision s'étend aux mystères les plus reculés. Il est sûr que l'on ne trouve rien de tel chez Tardy de Montravel, pas plus que dans le Mémoire de 1799 de Mesmer. Chez l'un et l'autre, au contraire, l'effort pour insérer la doctrine du sixième sens dans une physiologie mécaniste est patent. Pour les deux auteurs, il faut à tout prix éviter de transformer les somnambules en magiciens non seulement ce ne sont pas des sorciers, précise Tardy, mais ce ne sont « au contraire que de pures machines » (ibid., p. 53). Quant à Mesmer, au moment d'aborder les difficiles questions que posent à son physicalisme convaincu les « faits » du somnambulisme, il réaffirme que « tout est explicable par des lois mécaniques prises dans la Nature, et que tous les effets appartiennent aux modifications de la matière et du mouvement » (p. 309). Il n'empêche Mesmer et Tardy ne pourront faire que le somnambulisme ne réintroduise au cœur du mesmérisme tout ce que celui-ci s'efforçait de maintenir en dehors de lui. « Ce toucher intérieur ne peut se développer et entrer en action d'une manière sensible qu'autant qu'il n'est plus étouffé, offusqué par des actions multipliées, confuses et quelquefois contraires, des sens extérieurs qui perçoivent tout à la fois des impressions diverses » (Tardy de Montravel, p. 60). Les précisions mécanistes dont Tardy assortit son analyse seront finalement de peu de poids face au contraste qu'il établit entre une connaissance offusquée par le sensible et un savoir libéré. C'est ce contraste, bien plus que ces précisions, qui passera au premier plan et qui deviendra l'occasion de prolongements par rapport auxquels la doctrine des Mémoires de Mesmer paraîtra singulièrement étriquée 17. Mais on voit que ces prolongements [118] sont inscrits dans l'œuvre de Mesmer et des mesmériens de la première époque, au titre des tensions dont elle est grosse. Dès lors que le « système d'influences » qu'est le mesmérisme a son centre dans la singularité d'un individu dès lors que toute la vérité de la doctrine se trouve ramassée dans la singularité de sensations. Il n'est pas longtemps possible d'empêcher que ce ne soit là l'essentiel. Le devenir et les métamorphoses du somnambulisme au 19e siècle, jusqu'à sa captation par Freud, ne peuvent évidemment pas être déduits de l'œuvre des mesmériens. Mais ils y sont esquissés, et c'est cette esquisse qu'on peut deviner dans le mouvement interne dont elle est affectée. FRANÇOIS AZOUVI C.N.R.S. (Paris) Source forum MMPP MAITRESPASSES |
Dés mes premières années spirituelles, je me suis dit :
C' est bien de mâcher à vide que de courir après la matière.
Si Dieu ne pardonnait pas, où en serions nous ?
L' homme est un des attributs de Dieu, c' est pourquoi il est aussi ancien que Dieu, sans qu' il y ait pour cela plusieurs Dieux.
Nous sommes tous veufs, notre tâche est de nous remarier.
Ce n' est que dans la tendance vers notre être que se fait la purification;
tous ceux qui ne la sentent pas n' expient rien, il ne font que se tacher davantage.
Que les hommes sont aveugles de se croire en vie !
Qu' est-ce que c' est que l' homme tant qu' il n' a pas la clef de sa prison ?
Ne mets point ton argent dans une bourse, pour être plus prompt à faire l' aumône.
Ce qui est est plus loin de nous que ce qui n' est pas.
Oh, comme Dieu est petit, pourrait-on dire, il ne fait rien que d' une seule manière.
Les corps sont des êtres de vie ; s' ils étaient des êtres vivants, ils ne mangeraient ni ne mourraient point.
Les hommes font servir le vrai au culte de l' apparence, pendant que l' apparence leur avait été donnée pour le culte du vrai.
Maximes et pensées : Louis -Claude de SAINT-MARTIN (1743-1803)
C' est bien de mâcher à vide que de courir après la matière.
Si Dieu ne pardonnait pas, où en serions nous ?
L' homme est un des attributs de Dieu, c' est pourquoi il est aussi ancien que Dieu, sans qu' il y ait pour cela plusieurs Dieux.
Nous sommes tous veufs, notre tâche est de nous remarier.
Ce n' est que dans la tendance vers notre être que se fait la purification;
tous ceux qui ne la sentent pas n' expient rien, il ne font que se tacher davantage.
Que les hommes sont aveugles de se croire en vie !
Qu' est-ce que c' est que l' homme tant qu' il n' a pas la clef de sa prison ?
Ne mets point ton argent dans une bourse, pour être plus prompt à faire l' aumône.
Ce qui est est plus loin de nous que ce qui n' est pas.
Oh, comme Dieu est petit, pourrait-on dire, il ne fait rien que d' une seule manière.
Les corps sont des êtres de vie ; s' ils étaient des êtres vivants, ils ne mangeraient ni ne mourraient point.
Les hommes font servir le vrai au culte de l' apparence, pendant que l' apparence leur avait été donnée pour le culte du vrai.
Maximes et pensées : Louis -Claude de SAINT-MARTIN (1743-1803)
vendredi 22 août 2014
Fin août, la revue part chez l’imprimeur. Pour l’heure et avant donc de brosser in extenso son sommaire, signalons les noms d’auteurs pour le numéro 5 prévu deuxième quinzaine de septembre. Pour les articles (que nous afficherons plus tard) signalons les sympathiques et fraternelles collaborations de Hans Van Kasteel, d’Adon Qatan, de Xavier Cuvelier-Roy, de François Trojani, de Nicodème et de Gérard Galtier. Dans la rubrique des livres, des revues, etc… celles de Jean-Pierre Giudicelli de Cressac de Bachelerie, de Philippe Marlin, de Denis Andro, de Jean Artero et de Rémi Boyer..
jeudi 21 août 2014
AMADOU
et A. JOLY, De l'Agent Inconnu au Philosophe Inconnu,
Paris, Denoël, 1962, La Tour Saint-Jacques, in-80, 262 p.
Il n'est pas nécessaire, on s'en doute bien, d'adhérer à une doctrine
ésotérique et dogmatique, pour examiner des croyances qui ont joué, dans
l'histoire de la pensée humaine, un rôle très important. En notre
époque, où les disciplines occultes sont en train de revivre et même
d'influencer la science officielle la plus classique, il n'est pas
superflu de connaître ce dont on parle et qui garde vie. La revue La
Tour Saint-Jacques, sous la direction de Robert Amadou, s'efforce
d'étudier scientifiquement ces phénomènes qui relèvent de la psychologie
collective. Ils sont volontiers condamnés au nom du cartésianisme, à
tout le moins situés à la partie inférieure de l'échelle des valeurs.
Quand Molière fait apparaître, dans les Amants magnifiques, en 1672,
l'astrologue, il le présente hypocrite et fourbe ce conseiller de la
Cour qui a gagné la confiance de la reine mère, trafique de sa prétendue
science Molière est un lecteur de Lucrèce et un ami de Gassendi.
Le siècle, illustré par le baron d'Holbach et par Voltaire, ne repousse
pas, surtout en sa seconde moitié, cette évasion que constitue la magie.
Un numéro entier de La Tour Saint-Jacques a été consacré, en 1960, à
l'Illuminisme au XVIIIe s. En 1962, Mme Alice Joly apporte un précieux
complément à la biographie du Lyonnais Jean-Baptiste Willermoz et, de
son côté, Robert Amadou examine l'authenticité de manuscrits attribués à
Claude [222] de Saint-Martin et publie quelques pensées du Philosophe
Inconnu.
La lecture du récit relatif aux Initiés de Lyon pourrait surprendre. Des
bourgeois qui ne veulent plus d'église fréquentent une chapelle obscure
des gens qui ne veulent plus de rites ni de symboles recourent à
l'alchimie et à l'hermétisme des gens qui ne veulent plus de mystères,
plus de voiles s'engagent au secret le plus absolu et viennent
déchiffrer les messages d'une crisiaque. Ces rationaux, devenus
francs-maçons, vont chercher au fond des âges les éléments d'un
mysticisme qui, plus tard, chez quelques-uns d'entre eux, se substitue à
la raison. La Franc-Maçonnerie mystique est ainsi un ferment de l'ère
des lumières. Elle utilise, avant le romantisme et le symbolisme, ces
intuitions et ses présciences. Elle cherche à saisir cette réalité
invisible qui manifeste sa présence par des rêves et des souvenirs
involontaires.
En cette époque où Lavater, à Zurich, Swedenborg, en Suède, Mesmer,
dans toute l'Europe, proposent des moyens de régénérer l'homme et la
société, Lyon fait réellement figure de capitale européenne de
l'ésotérisme.
L'initiateur en est un négociant en soieries, Willermoz, disciple
fidèle, mais incertain du thaumaturge Martinès de Pasqually. Selon le
Traité de la réintégration des Etres, nous naissons tous prophètes il
s'agit de retrouver la clé des mystères égarée par les sacerdoces et de
développer, chez les adeptes, le don de la vision. Tout en gardant une
structure maçonnique, le mouvement spirituel suscité par Willermoz
s'efforce de créer un « Christianisme exalté, appelé en Allemagne
christianisme transcendantal ». Cette religion intérieure, perdue, peut
être redécouverte dans certaines conditions, par exemple grâce au
magnétisme, au mesmérisme, au somnambulisme. Les bourgeois lyonnais, en
particulier les médecins, se livrent à des expériences étranges et
examinent des cas de guérison. L'un d'eux publie, en 1784, Réflexions
impartiales sur le magnétisme, animal. Est-ce le marquis de Dampierre ou
le médecin Gilibert ? Willermoz emprunte cette technique, non pour des
fins thérapeutiques, mais pour découvrir « ces connaissances précieuses
et secrètes qui découlent de la religion primitive ». Il a fondé, en
1779, l'ordre des Chevaliers bienfaisants de la Cité Sainte qui est
devenu le sanctuaire du willermozisme en même temps que la plus
recherchée des loges lyonnaises. Tous les membres sont peu à peu
familiarisés avec ce monde surnaturel autant par la pratique des «
opérations » de Pasqually que par les expériences magnétiques de la
Concorde, autre temple maçonnique Or, voici que se présente en 1785, un
Agent Inconnu. Mme Joly a pu l'identifier c'est Mme de Vallière, la sœur
d'un initié, Alexandre de Monspey.
Cette chanoinesse se propose d'instruire ces mystiques, non pas de
secrets nouveaux, mais d'un esprit nouveau. II faut leur faire
comprendre qu'ils n'entrent pas dans une loge banale, mais qu'ils
reçoivent un privilège sacré, témoignage d'une nouvelle alliance divine.
Ils doivent régénérer le monde, et la Loge Elue apparaît comme « la
lumière des derniers temps des nations » (p. 62). Pour enseigner,
l'Agent ne recourt pas aux batteries en usage dans le cérémonial
maçonnique et qui sera, au XIXe siècle, l'élégance des guéridons
frappeurs. Abandonnant cette méthode alphabétique, elle écrit, inspirée
par une puissance invisible, dans la tranquille retraite de son château
beaujolais. De 1785 à 1788, 162 messages furent ainsi soumis à la
sagacité de Willermoz. Mme Joly a retrouvé une partie de ces archives
willermoziennes qui forment une encyclopédie fantasque embrassant toutes
les sciences, proposant une liturgie nouvelle.
Les Initiés se réunissaient chaque lundi, en leur siège, dans le
quartier des Brotteaux. Recruté dans un milieu assez mêlé, mais plutôt
aristocratique et cosmopolite, sur ce dernier point, la présentation de
Mme Joly [223] paraît trop brève ils comptent, parmi eux, les princes
Ferdinand de Brunswick et Charles de Hesse, le baron de Staël, le baron
von Haugwitz, homme d'Etat silésien et piétiste militant. Grâce à eux,
Lyon devient « le dépôt et le centre de cette heureuse lumière qui, de
là, doit se propager dans toute la province, dans toute l'Europe et
au-delà (p. 47). Malheureusement, l'auteur ne procède guère à l'analyse
du contenu et se contente de retracer les épisodes qui marquent la vie
de cet atelier. On aimerait connaître le sens de ces messages, leur
caractère spirituel, leurs rapports avec la religion traditionnelle et
avec la pensée du XVIIIe siècle. Ces indications permettraient de
préciser les croyances de ce milieu lyonnais.
Bientôt, les « ouvriers de la onzième heure » jugèrent que les
événements attendus ne se manifestaient pas. Sur une suggestion de
l'Agent Inconnu, Claude de Saint-Martin et le chevalier de Barberin
recherchèrent en vain le rituel de l'Eglise primitive dans un manuscrit
grec de Saint Jean Chrysostome. Ces déceptions survinrent en 1786
précisément au moment où Gilberte Rochette, une autre crisiaque,
détecte, elle aussi, une théorie initiatique pendant ses « sommeils ». À
cette date aussi, le banquier strasbourgeois Bernard de Turckheim, un
des plus zélés partisans de l'œuvre maçonnique de Willermoz, ne partage
plus l'idéal exprimé par l'Agent Inconnu rassembler tous les chrétiens
sous la bannière romaine. Ce rêve, celui de Leibniz, provoque
l'éloignement des protestants alsaciens. Au contraire, le duc Havré de
Croy et le vicomte de Tavannes adjurent Willermoz de renoncer à la
séduction des hérésies et de revenir « à la foi de ses pères » (p. 88).
Quant au Philosophe Inconnu, qui a des talents supérieurs à ceux du
fondateur de la Bienfaisance, il s'éloigne, lui aussi, de ces émules de
Pasqually.
Comme dans tous ces milieux maçonniques et occultistes, les querelles
spirituelles, les méfiances, les dissidences se multiplient. La
lassitude et les désillusions s'emparent de ces âmes assoiffées de vie
spirituelle. En 1788, pour le troisième anniversaire de ses messages, la
chanoinesse suggère la constitution d'un aréopage de sept membres qui
auraient contrôlé l'action de Willermoz. Le précurseur déchu se voit
dans l'obligation de contester la validité d'une telle inspiration et
d'expliquer que le « guide spirituel » peut tomber, lui aussi, dans un «
chaos obscur ». Brûlant ce qu'il a adoré, déniant toute valeur au
langage prophétique, Willermoz, toujours soucieux de son prestige
personnel, conseille d'accorder désormais une confiance conditionnelle
aux messages de l'Agent, de les considérer non comme l'expression de la
vérité divine, mais comme des textes à interpréter.
Si Paganucci, le chevalier de Rachais, les Initiés acceptent cette
recommandation, Mme de Vallière s'estime blessée, d'autant plus que
Willermoz a accusé le commandeur de Monspey, magnétiseur spiritualiste,
d'orienter les rêveries de sa sœur. Ces discussions ruinent la foi dans
la vocation miraculeuse de l'Agent et font de la Loge Elue et Chérie, la
plus commune des loges. L'agent continue d'expédier des cahiers au
printemps 1789, au moment où d'autres soucis et d'autres espérances
s'emparent des adeptes. La Seconde Province, dite d'Auvergne, de l'Ordre
Templier de la Stricte Observance, compte à peine une centaine de
membres, une trentaine se rattachent à la Bienfaisance de Lyon.
Plusieurs siègent alors aux Etats Généraux Milanois, Castellas, le comte
de Virieu. Toujours en quête de nouvelles expériences, Willermoz tenta
d'introduire en son temple les questions de brûlante actualité. Il se
heurta au refus de ses associés et, en 1790, ultime avanie, l'Agent lui
intime l'ordre de se retirer. (p. 116).
C'est un bilan de faillite que peut dresser l'auteur avant d'examiner
[224] le cas de Mme de Vallière. C'est une « histoire de folie et du
genre le plus banal, le plus classique aux yeux des spécialistes ». Mais
cette initiation correspond à une flambée d'exaltation mystique et
poétique (p. 151). Cette mentalité de participation, quelque peu
prélogique, est révélatrice de cette société lyonnaise sous Louis XVI
les formes de la logique traditionnelle, dérivées d'Aristote et de
Port-Royal, ne dominent plus le « monde des lumières ». La « psychologie
des profondeurs », la renaissance des formes irrationnelles
caractérisent le préromantisme précocement apparu à Lyon. L'apport de
Mme Joly est appréciable il complète ses travaux antérieurs sur les
frères Willermoz. Il aurait gagné à être présenté avec plus de netteté
la typographie est compacte, les chapitres ne sont pas subdivisés, le
nom de Wilhelmsbad, où se tint le Couvent des Gaules, est régulièrement
erroné. On regrette aussi une absence d'étude du milieu social les
francs-maçons ne sont pas présentés, leurs comportements ne sont pas
suffisamment explicités, les personnages sont trop souvent supposés
connus. Des notes et des références infra-paginales eussent été utiles
ainsi qu'une bibliographie pour situer précisément ces mystiques
lyonnais que l'on suit pendant quelques années seulement sans connaître
leur formation spirituelle, sans toujours comprendre leurs aspirations
mystiques ou leurs divergences politico-sociales. L'histoire des
mentalités ne peut être séparée de l'histoire sociale.
Louis-Claude de Saint-Martin n'est plus véritablement un inconnu Louis
Moreau, dans le Correspondant de 1846, Jacques Matter sous le Second
Empire, Papus, au début de ce siècle ont étudié son œuvre. Lors du
Colloque Voltaire tenu à Genève en 1963 (Actes, p. 254-368), Léon
Cellier remarquait que Saint-Martin fut raillé à la fois par Voltaire et
par Chateaubriand et qu'il parvint, comme Rousseau, à réaliser
l'unanimité des croyants et des incroyants contre lui Parlant de son
ouvrage, Des erreurs et de la vérité en 1775, le Patriarche de Ferney
écrit « Je ne crois pas qu'on puisse jamais imprimer rien de plus
absurde, de plus obscur, de plus fou et de plus sot. » Le livre reflète,
en effet, l'enseignement du mage Martinès de Pasqually et se dresse
contre la philosophie des lumières.
Les Pensées posthumes de Saint-Martin confirment sa farouche hostilité à
l'égard des philosophes de la génération encyclopédiste. Il est
difficile de connaître la doctrine de ce théosophe Robert Amadou, qui a
déjà publié une biographie ainsi qu'un choix de maximes de ce mystique,
aborde ici quelques problèmes d'érudition. Ainsi, Matter attribue un
introuvable « livre rouge » à Saint-Martin ce serait un recueil de
pensées commencé en 1767, achevé en 1772, de réflexions d'un disciple
très soumis de Martinès. La question est compliquée parce que plusieurs
ouvrages portent ce titre. Il semble que ce cahier fut détruit par
Saint-Martin en 1792 et que la substance soit passée dans ses autres
traités.
Matter parle aussi, dans sa bibliographie martinienne, de trois «
petites pièces » dont Saint-Martin ne dit rien dans son Portrait
historique et philosophique. L'une d'elles, le Discours prononcé dans
une Assemblée religieuse n'est certainement pas du Philosophe inconnu.
D'après un ouvrage de Charles Chassanis, l'auteur serait un prêtre
professant des maximes analogues à celles des quiétistes et des
Illuminés. Le Réveil religieux, suivi de cantiques et de stances, n'est
vraisemblablement pas de Saint-Martin. Il en est de même du Siècle
nouveau ou l'Espoir des Amis de la Vérité.
[225]
Analysant avec rigueur tous les témoignages relatifs au Philosophe
Inconnu, Robert Amadou conclut encore par une réponse négative sur les
quatre livres de Swedenborg annotés par une main inconnue. Saint-Martin
a lu et médité, critiqué les œuvres du visionnaire, mais n'aurait pas
consigné ses observations dans les marges mêmes des livres. Il rédigeait
ses notes sur des cahiers ou sur des feuilles volantes qu'il classait
ensuite dans des portefeuilles. Autre argument l'écriture des gloses
n'est pas celle de Saint-Martin. Enfin, Robert Amadou publie, sous le
titre Varia, trente-deux pensées inédites du Philosophe Inconnu dont
l'original est perdu, mais dont les copies se trouvent dans le manuscrit
Watkins « De la perfection corporelle », « Sur la découverte de
l'Amérique », « Sur la tragédie ». Les essais de Robert Amadou, qui
complètent ce petit ouvrage, sont un peu disparates et portent sur des
points particuliers. Ils parachèvent, néanmoins, la figure de celui que
Joseph de Maistre nomme « le plus instruit, le plus sage, le plus
élégant des théosophes modernes ».
Louis TRENARD
Source forum MMPP MAITRESPASSES
Paris, Denoël, 1962, La Tour Saint-Jacques, in-80, 262 p.
Il n'est pas nécessaire, on s'en doute bien, d'adhérer à une doctrine
ésotérique et dogmatique, pour examiner des croyances qui ont joué, dans
l'histoire de la pensée humaine, un rôle très important. En notre
époque, où les disciplines occultes sont en train de revivre et même
d'influencer la science officielle la plus classique, il n'est pas
superflu de connaître ce dont on parle et qui garde vie. La revue La
Tour Saint-Jacques, sous la direction de Robert Amadou, s'efforce
d'étudier scientifiquement ces phénomènes qui relèvent de la psychologie
collective. Ils sont volontiers condamnés au nom du cartésianisme, à
tout le moins situés à la partie inférieure de l'échelle des valeurs.
Quand Molière fait apparaître, dans les Amants magnifiques, en 1672,
l'astrologue, il le présente hypocrite et fourbe ce conseiller de la
Cour qui a gagné la confiance de la reine mère, trafique de sa prétendue
science Molière est un lecteur de Lucrèce et un ami de Gassendi.
Le siècle, illustré par le baron d'Holbach et par Voltaire, ne repousse
pas, surtout en sa seconde moitié, cette évasion que constitue la magie.
Un numéro entier de La Tour Saint-Jacques a été consacré, en 1960, à
l'Illuminisme au XVIIIe s. En 1962, Mme Alice Joly apporte un précieux
complément à la biographie du Lyonnais Jean-Baptiste Willermoz et, de
son côté, Robert Amadou examine l'authenticité de manuscrits attribués à
Claude [222] de Saint-Martin et publie quelques pensées du Philosophe
Inconnu.
La lecture du récit relatif aux Initiés de Lyon pourrait surprendre. Des
bourgeois qui ne veulent plus d'église fréquentent une chapelle obscure
des gens qui ne veulent plus de rites ni de symboles recourent à
l'alchimie et à l'hermétisme des gens qui ne veulent plus de mystères,
plus de voiles s'engagent au secret le plus absolu et viennent
déchiffrer les messages d'une crisiaque. Ces rationaux, devenus
francs-maçons, vont chercher au fond des âges les éléments d'un
mysticisme qui, plus tard, chez quelques-uns d'entre eux, se substitue à
la raison. La Franc-Maçonnerie mystique est ainsi un ferment de l'ère
des lumières. Elle utilise, avant le romantisme et le symbolisme, ces
intuitions et ses présciences. Elle cherche à saisir cette réalité
invisible qui manifeste sa présence par des rêves et des souvenirs
involontaires.
En cette époque où Lavater, à Zurich, Swedenborg, en Suède, Mesmer,
dans toute l'Europe, proposent des moyens de régénérer l'homme et la
société, Lyon fait réellement figure de capitale européenne de
l'ésotérisme.
L'initiateur en est un négociant en soieries, Willermoz, disciple
fidèle, mais incertain du thaumaturge Martinès de Pasqually. Selon le
Traité de la réintégration des Etres, nous naissons tous prophètes il
s'agit de retrouver la clé des mystères égarée par les sacerdoces et de
développer, chez les adeptes, le don de la vision. Tout en gardant une
structure maçonnique, le mouvement spirituel suscité par Willermoz
s'efforce de créer un « Christianisme exalté, appelé en Allemagne
christianisme transcendantal ». Cette religion intérieure, perdue, peut
être redécouverte dans certaines conditions, par exemple grâce au
magnétisme, au mesmérisme, au somnambulisme. Les bourgeois lyonnais, en
particulier les médecins, se livrent à des expériences étranges et
examinent des cas de guérison. L'un d'eux publie, en 1784, Réflexions
impartiales sur le magnétisme, animal. Est-ce le marquis de Dampierre ou
le médecin Gilibert ? Willermoz emprunte cette technique, non pour des
fins thérapeutiques, mais pour découvrir « ces connaissances précieuses
et secrètes qui découlent de la religion primitive ». Il a fondé, en
1779, l'ordre des Chevaliers bienfaisants de la Cité Sainte qui est
devenu le sanctuaire du willermozisme en même temps que la plus
recherchée des loges lyonnaises. Tous les membres sont peu à peu
familiarisés avec ce monde surnaturel autant par la pratique des «
opérations » de Pasqually que par les expériences magnétiques de la
Concorde, autre temple maçonnique Or, voici que se présente en 1785, un
Agent Inconnu. Mme Joly a pu l'identifier c'est Mme de Vallière, la sœur
d'un initié, Alexandre de Monspey.
Cette chanoinesse se propose d'instruire ces mystiques, non pas de
secrets nouveaux, mais d'un esprit nouveau. II faut leur faire
comprendre qu'ils n'entrent pas dans une loge banale, mais qu'ils
reçoivent un privilège sacré, témoignage d'une nouvelle alliance divine.
Ils doivent régénérer le monde, et la Loge Elue apparaît comme « la
lumière des derniers temps des nations » (p. 62). Pour enseigner,
l'Agent ne recourt pas aux batteries en usage dans le cérémonial
maçonnique et qui sera, au XIXe siècle, l'élégance des guéridons
frappeurs. Abandonnant cette méthode alphabétique, elle écrit, inspirée
par une puissance invisible, dans la tranquille retraite de son château
beaujolais. De 1785 à 1788, 162 messages furent ainsi soumis à la
sagacité de Willermoz. Mme Joly a retrouvé une partie de ces archives
willermoziennes qui forment une encyclopédie fantasque embrassant toutes
les sciences, proposant une liturgie nouvelle.
Les Initiés se réunissaient chaque lundi, en leur siège, dans le
quartier des Brotteaux. Recruté dans un milieu assez mêlé, mais plutôt
aristocratique et cosmopolite, sur ce dernier point, la présentation de
Mme Joly [223] paraît trop brève ils comptent, parmi eux, les princes
Ferdinand de Brunswick et Charles de Hesse, le baron de Staël, le baron
von Haugwitz, homme d'Etat silésien et piétiste militant. Grâce à eux,
Lyon devient « le dépôt et le centre de cette heureuse lumière qui, de
là, doit se propager dans toute la province, dans toute l'Europe et
au-delà (p. 47). Malheureusement, l'auteur ne procède guère à l'analyse
du contenu et se contente de retracer les épisodes qui marquent la vie
de cet atelier. On aimerait connaître le sens de ces messages, leur
caractère spirituel, leurs rapports avec la religion traditionnelle et
avec la pensée du XVIIIe siècle. Ces indications permettraient de
préciser les croyances de ce milieu lyonnais.
Bientôt, les « ouvriers de la onzième heure » jugèrent que les
événements attendus ne se manifestaient pas. Sur une suggestion de
l'Agent Inconnu, Claude de Saint-Martin et le chevalier de Barberin
recherchèrent en vain le rituel de l'Eglise primitive dans un manuscrit
grec de Saint Jean Chrysostome. Ces déceptions survinrent en 1786
précisément au moment où Gilberte Rochette, une autre crisiaque,
détecte, elle aussi, une théorie initiatique pendant ses « sommeils ». À
cette date aussi, le banquier strasbourgeois Bernard de Turckheim, un
des plus zélés partisans de l'œuvre maçonnique de Willermoz, ne partage
plus l'idéal exprimé par l'Agent Inconnu rassembler tous les chrétiens
sous la bannière romaine. Ce rêve, celui de Leibniz, provoque
l'éloignement des protestants alsaciens. Au contraire, le duc Havré de
Croy et le vicomte de Tavannes adjurent Willermoz de renoncer à la
séduction des hérésies et de revenir « à la foi de ses pères » (p. 88).
Quant au Philosophe Inconnu, qui a des talents supérieurs à ceux du
fondateur de la Bienfaisance, il s'éloigne, lui aussi, de ces émules de
Pasqually.
Comme dans tous ces milieux maçonniques et occultistes, les querelles
spirituelles, les méfiances, les dissidences se multiplient. La
lassitude et les désillusions s'emparent de ces âmes assoiffées de vie
spirituelle. En 1788, pour le troisième anniversaire de ses messages, la
chanoinesse suggère la constitution d'un aréopage de sept membres qui
auraient contrôlé l'action de Willermoz. Le précurseur déchu se voit
dans l'obligation de contester la validité d'une telle inspiration et
d'expliquer que le « guide spirituel » peut tomber, lui aussi, dans un «
chaos obscur ». Brûlant ce qu'il a adoré, déniant toute valeur au
langage prophétique, Willermoz, toujours soucieux de son prestige
personnel, conseille d'accorder désormais une confiance conditionnelle
aux messages de l'Agent, de les considérer non comme l'expression de la
vérité divine, mais comme des textes à interpréter.
Si Paganucci, le chevalier de Rachais, les Initiés acceptent cette
recommandation, Mme de Vallière s'estime blessée, d'autant plus que
Willermoz a accusé le commandeur de Monspey, magnétiseur spiritualiste,
d'orienter les rêveries de sa sœur. Ces discussions ruinent la foi dans
la vocation miraculeuse de l'Agent et font de la Loge Elue et Chérie, la
plus commune des loges. L'agent continue d'expédier des cahiers au
printemps 1789, au moment où d'autres soucis et d'autres espérances
s'emparent des adeptes. La Seconde Province, dite d'Auvergne, de l'Ordre
Templier de la Stricte Observance, compte à peine une centaine de
membres, une trentaine se rattachent à la Bienfaisance de Lyon.
Plusieurs siègent alors aux Etats Généraux Milanois, Castellas, le comte
de Virieu. Toujours en quête de nouvelles expériences, Willermoz tenta
d'introduire en son temple les questions de brûlante actualité. Il se
heurta au refus de ses associés et, en 1790, ultime avanie, l'Agent lui
intime l'ordre de se retirer. (p. 116).
C'est un bilan de faillite que peut dresser l'auteur avant d'examiner
[224] le cas de Mme de Vallière. C'est une « histoire de folie et du
genre le plus banal, le plus classique aux yeux des spécialistes ». Mais
cette initiation correspond à une flambée d'exaltation mystique et
poétique (p. 151). Cette mentalité de participation, quelque peu
prélogique, est révélatrice de cette société lyonnaise sous Louis XVI
les formes de la logique traditionnelle, dérivées d'Aristote et de
Port-Royal, ne dominent plus le « monde des lumières ». La « psychologie
des profondeurs », la renaissance des formes irrationnelles
caractérisent le préromantisme précocement apparu à Lyon. L'apport de
Mme Joly est appréciable il complète ses travaux antérieurs sur les
frères Willermoz. Il aurait gagné à être présenté avec plus de netteté
la typographie est compacte, les chapitres ne sont pas subdivisés, le
nom de Wilhelmsbad, où se tint le Couvent des Gaules, est régulièrement
erroné. On regrette aussi une absence d'étude du milieu social les
francs-maçons ne sont pas présentés, leurs comportements ne sont pas
suffisamment explicités, les personnages sont trop souvent supposés
connus. Des notes et des références infra-paginales eussent été utiles
ainsi qu'une bibliographie pour situer précisément ces mystiques
lyonnais que l'on suit pendant quelques années seulement sans connaître
leur formation spirituelle, sans toujours comprendre leurs aspirations
mystiques ou leurs divergences politico-sociales. L'histoire des
mentalités ne peut être séparée de l'histoire sociale.
Louis-Claude de Saint-Martin n'est plus véritablement un inconnu Louis
Moreau, dans le Correspondant de 1846, Jacques Matter sous le Second
Empire, Papus, au début de ce siècle ont étudié son œuvre. Lors du
Colloque Voltaire tenu à Genève en 1963 (Actes, p. 254-368), Léon
Cellier remarquait que Saint-Martin fut raillé à la fois par Voltaire et
par Chateaubriand et qu'il parvint, comme Rousseau, à réaliser
l'unanimité des croyants et des incroyants contre lui Parlant de son
ouvrage, Des erreurs et de la vérité en 1775, le Patriarche de Ferney
écrit « Je ne crois pas qu'on puisse jamais imprimer rien de plus
absurde, de plus obscur, de plus fou et de plus sot. » Le livre reflète,
en effet, l'enseignement du mage Martinès de Pasqually et se dresse
contre la philosophie des lumières.
Les Pensées posthumes de Saint-Martin confirment sa farouche hostilité à
l'égard des philosophes de la génération encyclopédiste. Il est
difficile de connaître la doctrine de ce théosophe Robert Amadou, qui a
déjà publié une biographie ainsi qu'un choix de maximes de ce mystique,
aborde ici quelques problèmes d'érudition. Ainsi, Matter attribue un
introuvable « livre rouge » à Saint-Martin ce serait un recueil de
pensées commencé en 1767, achevé en 1772, de réflexions d'un disciple
très soumis de Martinès. La question est compliquée parce que plusieurs
ouvrages portent ce titre. Il semble que ce cahier fut détruit par
Saint-Martin en 1792 et que la substance soit passée dans ses autres
traités.
Matter parle aussi, dans sa bibliographie martinienne, de trois «
petites pièces » dont Saint-Martin ne dit rien dans son Portrait
historique et philosophique. L'une d'elles, le Discours prononcé dans
une Assemblée religieuse n'est certainement pas du Philosophe inconnu.
D'après un ouvrage de Charles Chassanis, l'auteur serait un prêtre
professant des maximes analogues à celles des quiétistes et des
Illuminés. Le Réveil religieux, suivi de cantiques et de stances, n'est
vraisemblablement pas de Saint-Martin. Il en est de même du Siècle
nouveau ou l'Espoir des Amis de la Vérité.
[225]
Analysant avec rigueur tous les témoignages relatifs au Philosophe
Inconnu, Robert Amadou conclut encore par une réponse négative sur les
quatre livres de Swedenborg annotés par une main inconnue. Saint-Martin
a lu et médité, critiqué les œuvres du visionnaire, mais n'aurait pas
consigné ses observations dans les marges mêmes des livres. Il rédigeait
ses notes sur des cahiers ou sur des feuilles volantes qu'il classait
ensuite dans des portefeuilles. Autre argument l'écriture des gloses
n'est pas celle de Saint-Martin. Enfin, Robert Amadou publie, sous le
titre Varia, trente-deux pensées inédites du Philosophe Inconnu dont
l'original est perdu, mais dont les copies se trouvent dans le manuscrit
Watkins « De la perfection corporelle », « Sur la découverte de
l'Amérique », « Sur la tragédie ». Les essais de Robert Amadou, qui
complètent ce petit ouvrage, sont un peu disparates et portent sur des
points particuliers. Ils parachèvent, néanmoins, la figure de celui que
Joseph de Maistre nomme « le plus instruit, le plus sage, le plus
élégant des théosophes modernes ».
Louis TRENARD
Source forum MMPP MAITRESPASSES
vendredi 15 août 2014
Une lettre de feu Robert Amadou (1924-2006) adressée à Jacques Bouvier (Librairie du Graal) , libraire bientôt retraité, évoque tour à tour St-Yves, l’AMORC, Mme Renard, St Martin, Philippe Encausse, A Dumas, etc… Elle sera in extenso retranscrite dans le numéro 5 des Cahiers de l’ailleurs
http://www.lescahiersdelailleurs.fr/?cat=49.
http://www.lescahiersdelailleurs.fr/?cat=49.
vendredi 1 août 2014
Lyon, le 12/18 août 1821.
J'ai reçu le 8 courant, mon très cher ami et bien-aimé Frère, votre chère lettre du 4, qui répond à la mienne des 5-15 juillet dernier ; j'ai été surpris de la recevoir le 5, jour de la date, car je ne croyais pas Altorff si près de Strasbourg, Je partage bien les nouvelles peines que vous éprouvez pour l'arrangement de vos affaires de famille et les embarras dont vous êtes menacé pour les terminer, par l'avidité d'un avocat qui devient un dangereux conseil. Il est dur quand on a fait les sacrifices que l'amour de la paix nous demandait de se voir arrêter par de nouveaux obstacles imprévus ; c'est ici qu'il faut vous armer de courage, user de toute votre prudence pour lutter efficacement contre les ruses de l'Ennemi du genre humain qui vous suscite de nouvelles persécutions, lorsque vous avez si à coeur de vous rendre tranquille et indépendant ; vos devoirs envers votre famille sont de vrais devoirs d'état, et il faut les remplir.
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