Source : forum Maitrespassés de Mariette Cyvard
L'éditeur Paul Derain (rue Vauban, Lyon) a .publié récemment «Ecce Homo» en réimpression. de l'édition de 1792 et l'on peut dire, comme le souligne l'éditeur dans un court avant-propos que « ce petit livre a gardé toute sa valeur et reste actuel ». Petit livre par le volume, puisqu'il compte moins de cent pages, et pourtant grande œuvre par la densité de la pensée qu'il contient, Ecce Homo » a été pour nous un rayon de lumière ; nous nous faisons donc un fraternel devoir de l'évoquer assez longuement, non pour dispenser de sa lecture les gens pressés mais, au contraire, pour y inciter les hommes de bonne volonté, « les hommes de désir » en général et les Martinistes en particulier. SAINT-MARTIN montre tout d'abord par des exemples très simples que l'homme est « une sainte et sublime pensée de Dieu » et nous invite à nous représenter ce que fut l'homme en tant que tel, avant sa chute, ce qu'il devrait être... et ce qu'il est en réalité : du fait de sa dégradation il n'est plus qu'une manifestation opposée à celle qui était attendue de lui. Au lieu d'être les témoins de la gloire et de la vérité, nous ne sommes plus que les témoins de l'opprobre et du mensonge. Frappés par la Justice divine, les suites de notre condamnation, seraient mille fois plus douces si nous en reconnaissions l’équité et si nous pensions combien les vues que notre Juge a sur nous pourraient nous être profitables. Mais le principe de désordre qui nous a fait déchoir nous poursuit, nous trompe sur la chute de l'homme, sur ses conséquences, et cherche à nous persuader que nous ne sommes pas tombés. Ainsi s'explique le soin perpétuel que l'homme apporte à cacher ses défauts, à leur donner l'aspect de la vertu et son souci constant de l'opinion de ses semblables. Ces erreurs constituent autant de pierres d'achoppement pour notre évolution, mais il en est de plus graves suscitées elles aussi par l’esprit des ténèbres, et qui ont le terrible pouvoir de tellement égarer l'homme qu'il ne peut plus retrouver sa voie. Et Louis-Claude de SAINT-MARTIN établit un frappant parallèle : d'une part quelques mortels privilégiés qui, ayant eu le double avantage d'apprendre combien étaient doux et magnifiques ces trésors dont nous avons joui et combien est ignominieux le néant dans lequel nous nous sommes plongés, répandaient ensuite leurs instructions sur les autres hommes ; d'autre part les œuvres enfantées ou infectées par les ténèbres qui persuadent l'homme, qu'il jouit encore de tous ses droits et lui dérobent « la vue de ce dénuement spirituel qui est le véritable signe caractéristique auquel est attaché le nom d'Ecce Homo ». SAINT-MARTIN dénonce alors ces extraordinaires manifestations dont tous les siècles ont été inondés, ces abominations et ces erreurs religieuses qui ont attiré sur des peuples célèbres les vengeances éclatantes de la colère divine. Il montre comment l'œuvre partielle prend aisément dans la pensée de l'homme le caractère de l'œuvre totale et comment l'œuvre de l'esprit lui paraît facilement l'œuvre de la Divinité... Partout les hommes ont pris pour des missions spirituelles ce qui n'était que des missions naturelles, pour des missions naturelles ce qui n'était que des missions ténébreuses et sous-naturelles. Quels torts les agents mêmes des missions partielles n'ont-ils pas dû se faire à eux-mêmes en sortant ainsi de leur sphère; et en s'exposant si imprudemment et sans forces suffisantes a tous les chocs opposés ou corrompus de tant d'autres sphères qui devaient à jamais leur rester étrangères ? Il y a des multitudes d'institutions sur la terre qui n'ont pas eu d'autres principes, soit parmi celles qui ont été honorées comme sacrées, soit parmi celles qui, par des altérations successives, en sont venues à ne conserver que de puérils emblèmes et se sont totalement transformées en pures institutions civiles... Ces institutions ont montré l'espèce de sources dont elles sortaient soit par les règlements bizarres qu'elles prescrivaient, soit par l'emploi d'ingrédients et de substances dont la correspondance décèle clairement des régions purement naturelles que presque tous les peuples de la terre ont adorées comme étant divines, vu les mélanges spirituels bons ou mauvais dont elles sont, susceptibles... Les missions modernes s'éloignent de l'esprit du Réparateur lorsqu'elles localisent terrestrement le foyer des grâces divines... lorsqu'elles assujettissent leurs agents à de puériles règles humaines... Si ce n'est pas le principe des ténèbres lui-même qui les dirige et qui emploie ces règles pour étouffer la vraie piété, il se peut que ce soit des individus déjà sortis de ce monde... qui détenus encore dans des régions inférieures... peuvent conserver des relations terrestres dans l'ordre de la piété inférieure. Le Maitre, visant ensuite les merveilles et manifestations revêtues du nom de la Vierge ou de plusieurs autres créatures privilégiées, dénonce les abus auxquels elle donnent lieu en soulignant que « nous sommes appelés à être le signe et le témoin de la divinité et non point à être le signe et le témoin d'aucun autre être ». SAINT-MARTIN ne se contente pas de signaler le danger : il nous montre encore les moyens de nous en prémunir. Au nombre de ces moyens, il place notamment « les écritures saintes » qui « nous tracent avec exactitude le lit qui a servi au fleuve vivifiant de l'amour, pour arriver depuis la montagne sainte jusque dans notre être... ». Toutefois il nous met en garde, plus loin, contre le « pouvoir funeste... que possède le principe des ténèbres d'appuyer... ses fausses doctrines et ses [46] manifestations par les divers témoignages des écritures Saintes ». Louis-Claude de SAINT-MARTIN a voulu, par cet ouvrage, nous prémunir contre « cette faiblesse secrète qui nous porte tous à chercher hors de nous les appuis que nous ne pouvons trouver qu'en nous... ». C'est précisément cette faiblesse qui nous entraîne vers ces «'missions » qui relèvent de la voie extérieure, alors que la seule et véritable voie est celle de « Ecce Homo ». Car c’est ainsi que l’auteur qualifie la Voie Intérieure, celle de la Régénération. Ces mots « Voilà l'homme » appliqués jadis au Réparateur expriment toute notre dégradation. Le Maître veut que-nous en prenions conscience, que nous ne cachions plus « cet homme de mensonge dans ses décombres et dans ses immondices ». Il nous convie, au contraire, « à faire paraître (cet homme) à découvert afin que l'air vif le corrode jusque dans ses racines, et que le signe de la mort, se trouvant ébranlé par là, dans ses fondements, puisse s'écouler et se perdre pour nous au fond de ses abîmes ». Nous venons par des citations plus ou moins littérales, d'indiquer les grandes lignes et la pensée maîtresse de ce précieux petit livre qui, nous n'hésitons pas à le dire, est une œuvre vraiment inspirée au sens le plus élevé du terme. Comme toujours en pareil cas, tous les lecteurs ne la ressentiront donc pas de la même manière et les réflexions qu'elle Suggère peuvent, avec les sujets, varier presque à l'infini. C'est donc sans nulle prétention d'être exhaustifs que, n'ayant ni l'emplacement... ni le talent nécessaires pour en faire l'exégèse, nous allons en toute modestie consigner en terminant cette présentation quelques-unes des pensées que notre lecture nous a inspirées. L'homme « pensée de Dieu »... Définition éminemment réconfortante si nous songeons que toute pensée, même oubliée de son auteur (et Dieu, Lui, n'oublie pas !) subsiste en puissance et reste liée à l'être dont elle émane : nous avons donc la certitude d'être indéfectiblement liés à notre Principe Suprême, ultime but de notre évolution. Mais une « pensée de Dieu » ne peut qu'être parfaite... Et pourtant, comme nous sommes loin de la perfection, de notre perfection primordiale et glorieuse Or, nous sommes seuls responsables de notre déchéance, dont SAINT-MARTIN trouve la source dans « la puissance libre de notre être ! ». Nous le sentons bien d'ailleurs, mais l'orgueil nous empêche de le reconnaître et nous nous attachons à masquer « nos difformités par toutes sortes de membres artifi¬ciels » et à faire illusion sur nos semblables « pour qu'ils flattent nos oreilles de ce doux nom « d'Ecce Deus ». Voilà le Dieu, au lieu de ce terrible Ecce Homo qui nous rendrait furieux en nous couvrant d'ignominie ». [47] C'est pour nous parer d'une apparente et facile sainteté que nous nous tournons vers l'extérieur, que nous prêtons l'oreille aux faux prophètes, que nous tombons dans les pièges de la piété inférieure au lieu de nous engager, par « l'Ecce Homo », dans « les sentiers de la Régénération ». Ecce Homo ! Ce sont, comme chacun le sait, les mots que prononce Pilate au moment où il livre à la populace Jésus qui vient d'être couvert d'une pourpre dérisoire, couronné d'épines, Or, le Gouverneur romain ne se doutait pas qu'en désignant ainsi cet être à l'aspect lamentable, sanglant et couvert de crachats, il était, en quelque sorte, le porte-parole choisi par la Divinité pour inviter l'humanité à prendre enfin conscience de l'état d'abjection auquel sa faute l'avait réduite. Car ces deux mots ont un sens profond que la méditation devant le Crucifix nous aide à mieux comprendre si, renonçant à notre orgueil, nous nous plaçons dans la ligne indiquée par L.-C. de SAINT-MARTIN. Le Divin Réparateur a pris à son compte toute notre abjection en portant « pour nous aux yeux des nations le titre humiliant d' « Ecce Homo », en laissant, comme le dit le Maitre, immoler sa forme matérielle. Et ce que nous devons voir dans ce corps torturé qui pend sur le gibet, c'est la symbolique « peau de bête » revêtue par Adam après la chute, c'est « le vrai signe de notre réprobation ». Ecce Homo Voilà l'homme tel qu'il s'est voulu, et non pas tel que Dieu l'avait voulu pour s'y refléter... — Le poids qui tire ces bras écartelés, déchirant les mains percées de clous, ce n'est pas celui de cette « forme corporelle pure » de Jésus, dont Saint-Martin parle dans « les Nombres » c'est celui de la matière pétrie de péché... Et lorsque le supplicié murmure d'une voix dolente : J'ai soif ! c'est toute l'angoisse de l'homme universel qui s'exprime, c'est la soif de l'Esprit privé de Lumière et du cœur privé d'Amour... Nous réalisons ainsi la qualité humiliante exprimée par « Ecce Homo », cette dégradation que L.-C. de SAINT-MARTIN vient nous remettre en mémoire car dit-il « ce n'est qu'en faisant manger chaque jour à nos esprits le pain d'affliction que nous obtiendrons la régénération de l'homme ». C'est pourquoi le Maître nous assure en terminant que « si nous savons lire dans le Réparateur l'histoire universelle de l'homme », l'Ecce Homo ne sera plus un titre d'humiliation et d'opprobre mais un titre de gloire. En effet, « nous devons être sûrs de remonter un jour vers les régions de lumière, et qu'on dira de nous glorieusement à, notre arrivée dans les cercles supérieurs, ce qu'on en a dit dans notre origine : Ecce Homo, voilà l'homme, voilà l'image et la ressemblance de notre Dieu, voilà le signe et le témoin du principe éternel des êtres, voilà la manifestation vivante de l'universel axiome ». Robert DEPARIS. |